Création des GHT : quels enjeux pour les équipes médicales ?

27 avril 2016

visueltest

Accès rapide
> Le « oui mais » de la communauté hospitalière
Les cas de la psychiatrie et des Dim
Télécharger le dossier en PDF

Il ne manquait plus que lui. Depuis le 29 avril dernier, date de publication au Journal officiel du décret n°2016-524 du 27 avril 2016 relatif aux Groupements hospitaliers de territoire (GHT), les principales règles du jeu sont donc fixées. Comme prévu, les Directeurs d’Agence régionale de santé (DARS) devront avoir arrêté la liste des Groupements hospitaliers de territoire (GHT) et leur composition au 1er juillet prochain. Mais, cette date est plus un top départ qu’une finalité. Comme l’explique David Gruson, Délégué général de la Fédération hospitalière de France (FHF), « à cette date, les périmètres des GHT ainsi que les éléments majeurs devant figurer dans la convention constitutive devront avoir été adoptés ». L’adhésion à un GHT étant obligatoire, c’est même ce qui distingue un GHT de feu la Communauté hospitalière de territoire : tous les hôpitaux vont devoir se mettre en mouvement et faire dialoguer leurs équipes.

Un dialogue entre équipes hospitalières à construire

Cerner le périmètre et l’ampleur de ce dialogue obligatoire entre établissements d’un même GHT permet de comprendre ce qui attend leurs membres, médecins en tête. A la fois en termes de changement de leurs pratiques et d’organisation mais également en termes d’évolutions de carrière possibles même si tout est loin d’avoir été réglé à ce jour.  

Pour mémoire, selon la loi de modernisation de notre système de santé, dite Loi de santé, laquelle instaure les GHT, ces derniers ont pour objet de « mettre en œuvre une stratégie de prise en charge commune et graduée du patient dans le but d’assurer une égalité d’accès à des soins sécurisés et de qualité ».  Pour ce faire, la loi enjoint les établissements de rationaliser leurs modes de gestion « par une mise en commun de fonctions ou par des transferts d’activités ».

Les enjeux de la coordination et de la mutualisation

Si le GHT n’est pas doté de la personnalité morale, il donne toutefois lieu à la conclusion d’une convention constitutive engageant les établissements qui en font partie. Cette convention constitutive désigne « un établissement support » chargé d’assurer pour le compte des autres établissements les fonctions et les activités déléguées. Certaines de ces fonctions reviennent obligatoirement à l’établissement support. C’est le cas de la gestion commune « d’un système d’information hospitalier convergent », la gestion d’un département de l’information médicale de territoire, de la fonction achats ou encore de la coordination des écoles de formation paramédicale. La loi prévoit également la mise en commun des activités d’imagerie diagnostique et interventionnelle ainsi que de la biologie médicale. D’autres fonctions ou activités peuvent être librement mutualisées et inscrites dans la convention constitutive.

Bientôt des pôles inter-établissements

Par ailleurs, les textes prévoient que les établissements membres du GHT « peuvent créer des pôles inter-établissements d’activité clinique ou médico-technique ». Enfin, un GHT ne comprend pas nécessairement un CHU mais il doit passer une convention d’association avec un CHU pour ce qui est des activités hospitalo-universitaires.
Le périmètre même des GHT implique donc pour les équipes des établissements deux types d’enjeux : des enjeux de coopération avec les équipes des autres établissements du GHT mais aussi des enjeux de changement des organisations, certaines équipes, en particulier celles de l’établissement support, prenant le leadership pour certains sujets.

Un projet médical structurant

Pour les équipes médicales, ces deux enjeux vont sous-tendre le travail sur le projet médical qui, selon la loi, doit être le cœur du GHT. La  convention de constitution du GHT ne peut en effet pas être conclue sans un Projet médical partagé (PMP). Seuls les grands objectifs médicaux devront figurer dans la convention constitutive du 1er juillet. Pour le Dr Frédéric Martineau, ancien membre de la mission GHT, la convention constitutive est « un projet global qui engage les établissements à respecter les étapes ». Le décret d’application prévoit deux autres étapes : au 1er janvier 2017, l’organisation par filière d’une offre de soins graduée devra avoir été fixée; au 1er juillet 2017, le PMP devra avoir été finalisé et comprendre « les principes d’organisation des activités, au sein de chacune des filières, avec leur déclinaison par établissement, et le cas échéant, leur réalisation par télémédecine ». Ce qui comprend notamment la permanence des soins, les activités de consultation avancée, les activités ambulatoires, d’hospitalisation partielle et conventionnelle, les plateaux techniques, la prise en charge des urgences non programmées, les activités d’hospitalisation à domicile et les activités de prise en charge médico-sociale.

Un rôle-clé pour les praticiens

La répartition des emplois des professions médicales et pharmaceutiques qui en découle sera également inscrite dans la convention  constitutive, « le cas échéant par voie d’avenant », ainsi que les principes d’organisation des équipes médicales communes. Le PMP comprend par ailleurs les projets de biologie médicale, d’imagerie médicale et de pharmacie. Il est élaboré pour une période maximale de cinq ans. Autant dire que l’écriture de ce PMP sera, à coup sûr, un sujet central pour les médecins hospitaliers jusqu’en juillet 2017, d’autant que le décret stipule que « les équipes médicales concernées par chaque filière qu’il mentionne participent à la rédaction du projet médical partagé ». En outre, le PMP sera « soumis pour avis au collège ou à la commission médicale de groupement… ».

Un exercice territorialisé

Le PMP est en effet un projet précis qui aura de fortes répercussions sur l’organisation de travail des praticiens hospitaliers. « Il faut, explique le Dr Frédéric Martineau, que les équipes médicales comprennent que si le GHT fonctionne correctement, les médecins auront davantage un travail territorial que posté. Nombre d’équipes territoriales vont s’engager à assurer leur spécialité sur un territoire. Certains établissements n’auront plus de plateau technique lourd mais on y maintiendra une offre de proximité, des consultations, certains gestes techniques comme le fibroscopie, voire une chirurgie ambulatoire. » Les praticiens devraient donc être appelés soit à assurer des consultations avancées, soit à apporter leur concours à d’autres établissements. Mais dès que le patient aura besoin de soins d’une plus grande technicité, il se rendra à l’établissement désigné comme ayant la charge territoriale de telle ou telle pathologie, lequel ne sera pas nécessairement l’établissement support. Selon le Dr Frédéric Martineau, si le découpage des GHT est « vraiment convenable, les équipes soignantes sauront très bien qui va faire quoi. Elles en connaîtront les points forts et les points faibles ».

 

Le « oui mais » de la communauté hospitalière

 

Beaucoup d’acteurs ont alerté et continuent d’alerter les pouvoirs publics sur les risques d’une démarche descendante, trop administrative. Les présidents de Commission médicale d’établissement (CME) de centre hospitalier dénoncent l’orientation de certains découpages « déconnectés du caractère nécessairement opérant des GHT et contraires aux parcours de soins des patients ». .

Quelle pertinence médicale pour les découpages ?

« Nous assistons à la création de GHT sans projet médical. Cela ne peut marcher, déplore le Dr Roland Rymer, Président de Convergence hospitalière (qui
regroupe la coordination médicale hospitalière et le SNAM-PH). Or, le projet médical est un préalable. »

Ancien Président de la conférence des CME de CH mais surtout membre de la mission qui a inspiré la réflexion sur les GHT, le Dr Frédéric Martineau met les
points sur les i : « L’esprit de la loi est que les GHT viennent des propositions des acteurs de terrain validées par les ARS. Mais, dans certaines
régions, le découpage imposé ne correspond pas aux bassins de vie. Or, la notion de territoire n’est pas administrative. Le découpage des GHT est pourtant
un élément crucial : il ne faut pas qu’ils soient trop grands car plus il y aura d’établissements et d’équipes, plus difficile sera la coopération entre
eux. Mais trop petits, ils ne pourront pas assurer la prise en charge de toutes les filières sur l’ensemble du territoire. En revanche, si le découpage est
bien fait, la désignation de l’établissement pivot se fera naturellement et le GHT fonctionnera. »

Or, à la fin du mois d’avril, si l’en croit Jérémie Sécher, Président du SMPS (Syndicat des manageurs publics de santé), on déplorait encore des « tensions
dans la moitié des régions »
, des désaccords sur le périmètres des GHT et sur la désignation de l’établissement support ainsi qu’une absence d’avancée sur
le PMP. « Il faut pourtant trouver un consensus car on ne peut pas forcer les gens à coopérer malgré eux. Sinon, la réforme sera un échec », prévient-il
tout en se déclarant favorable « à une stratégie de groupe publique » mais en refusant que les directeurs et les praticiens hospitaliers soient les « boucs
émissaires »
si les GHT ont du mal à se mettre en place.


Quelles équipes médicales territoriales ?

Les praticiens hospitaliers ne veulent pas être mis devant le fait accompli. Or, qui dit mutualisation des activités, dit en effet mutualisation des
ressources et donc mutualisation des équipes médicales avec des effets sur les modalités de leur exercice. Certains praticiens hospitaliers auront
plusieurs lieux d’exercice et travailleront dans d’autres centres que ceux auxquels ils étaient affectés au départ. Problèmes de transport, changements de
condition de travail, intégration dans de nouvelles équipes… « la mobilité géographique va être un enjeu et, pour certains, redoute le Président de
Convergence hospitalière, elle « va entrainer une augmentation de la pénibilité des tâches ». Ce qui s’avère périlleux à l’heure où certains hôpitaux sont
confrontés au départ de praticiens. L’amélioration de l’attractivité de l’hôpital public doit donc être un élément à prendre en compte dans les réflexions
sur l’organisation des GHT.

Le Dr Nicole Smolski, Présidente d’Action praticiens hôpital qui regroupe deux intersyndicales (Avenir hospitalier et la Confédération des praticiens des
hôpitaux), convient volontiers qu’en période de pénurie de médecins, certains plateaux techniques lourds doivent être regroupés et certains établissements
reconvertis « pour optimiser l’offre de soins ». « Mais, affirme-t-elle également, nous craignons que l’on oblige les médecins à se nomadiser sans qu’ils soient parties prenantes des projets. La notion de volontariat est essentielle. Il faut que le PMP soit le projet des équipes médicales de territoire et non des seules instances dirigeantes. » A priori, l’idée que les médecins travaillent sur plusieurs sites ne la choque pas, « à condition que ce soit calé sur un projet médical qui ait du sens » et d’organiser leur présence (local, matériel, transport) pour qu’ils puissent y travailler convenablement. Sens du PMP, organisation et implication des équipes : on en revient toujours aux mêmes choses.

Quels profils de poste ?

Pour ce qui est des statuts et des profils de poste, les choses ne sont pas encore réglées ni définies. La Présidente de l’Intersyndicale nationale des
praticiens hospitaliers (INPH), le Dr Rachel Bocher, reconnaît que l’idée de mutualiser les équipes médicales peut être « stimulante » et « incitative ».
Mais, à ses yeux, la réforme, pour être tenable, suppose des « prérequis » : en l’occurrence, qu’elle s’appuie sur une démarche pragmatique et volontaire ;
qu’elle respecte les valeurs du service public (proximité, disponibilité, humanité) ; que la vie professionnelle soit collégiale et participative ; que la
représentativité des praticiens hospitaliers soit renforcée au sein des différentes instances que sont les comités paritaires régionaux et les conférences
régionales de santé et d’autonomie ; enfin, qu’il n’y ait pas de territorialisation du statut. « Il faut que le statut du praticien hospitalier demeure
national. Le PH doit être nommé sur un profil de poste qui ne change pas », poursuit la Présidente de l’INPH. Enfin, pour elle, la création d’équipes
mobiles médicales territoriales doit aller de pair avec une rémunération substantielle fondée non seulement sur les missions, mais aussi sur l’éloignement,
le tout assorti de garanties concernant notamment le transport. Mais, pour l’instant, les textes restent muets sur le montant des primes.

De son côté, le Dr Christophe Ségouin, Secrétaire général du SNAM-HP, résume l’interrogation actuelle parfois teintée d’inquiétude : « Dans la mesure où
l’on va redéfinir le projet médical, on va redéfinir les profils de poste. Les praticiens vont devoir repostuler à de nouveaux profils de poste imposés. On
peut instrumentaliser le projet médical. »
Le risque est de voir disparaître certains postes. Un sujet à surveiller car cela aboutira de fait à redessiner
la cartographie des postes médicaux. Les syndicats sont en tout cas vent debout et unanimes : ils ne veulent pas de mutations ni de recherches
d’affectation contre le gré des praticiens. Une solution devra leur être proposée qui tienne compte de leur lieu de résidence et de leurs compétences.

Quelle gestion des ressources humaines ?

Ces interrogations et ces demandes soulèvent une question très concrète : qui sera en charge des ressources humaines? Normalement, selon David Gruson,
elles resteraient gérées à l’échelle de chaque établissement. Mais les choses ne sont pas si claires, le décret n’étant pas explicite. Toutefois, fort de
son expérience comme conseiller médical à la Direction générale de la Santé (DGS) et à l’ARS du Nord-Pas-de-Calais Picardie, le Dr François Aubart estime
que « si l’organisation territoriale est bien faite, la gestion des ressources humaines en découlera mécaniquement et il sera possible d’avoir une vision
prospective de la gestion des emplois et des carrières à partir d’un état des lieux du temps médical, des départs à la retraite et des flux d’internes en
amont. Il sera possible d’avoir une lisibilité fine à trois ans, voire à cinq ans. La généralisation des filières améliore en effet la visibilité. »

Le choix de s’organiser en pôles inter-établissements influera également ce domaine. Le décret sur les GHT précise en effet que le chef de pôle « organise
le fonctionnement du pôle et l’affectation des ressources humaines en fonction des nécessités et des lieux de réalisation de l’activité et compte tenu des
objectifs prévisionnels du pôle, de la déontologie de chaque praticien et des missions et responsabilités des services, des unités fonctionnelles… ou des
autres structures prévues par le projet de pôle »
.

La manière de mettre en œuvre ces pôles sera essentielle pour éviter l’écueil, mortifère pour les GHT, d’équipes médicales surdimensionnées contraintes
d’exercer sur plusieurs sites sans aucune cohérence médicale et sans prise en compte de leur réalité quotidienne.

 

Les cas de la psychiatrie et des Dim

En principe, la loi prévoit des dérogations à l’obligation d’adhérer à un GHT. Les établissements psychiatriques pourraient en bénéficier. Les psychiatres font en effet valoir que la psychiatrie est déjà structurée de façon horizontale dans le cadre des communautés psychiatriques de territoire et qu’il serait contreproductif de casser cette dynamique en lui imposant un modèle plutôt destiné aux établissements MCO. Par ailleurs, le financement de la psychiatrie ne repose pas sur la tarification à l’activité. Les psychiatres redoutent que les moyens qui leur sont alloués soient siphonnés par le GHT et que la discipline devienne du même coup « une variable d’ajustement des hôpitaux », selon le terme du Dr Marc Bétrémieux, Président du Syndicat des psychiatres des hôpitaux.
Le cas des médecins des Départements de l’information médicale (Dim) est différent. Le médecin responsable du Dim de territoire n’est en effet pas placé sous l’autorité du directeur de l’établissement support, ses missions sont définies. Sur ces points le Syndicat des Dim a obtenu satisfaction. Néanmoins, comme l’explique leur Président, le Dr Christophe Ségouin, ils auraient souhaité « une charte de l’information médicale » afin que les informations délivrées par le Dim ne soient pas instrumentalisées et que le secret médical ne risque pas d’être violé. La réflexion sur la mise en place du Dim de territoire n’est pas encore aboutie. Mais, suggère Christophe Segouin, « on peut imaginer un partage des tâches entre les médecins du Dim au sein duquel chacun partage ses compétences… Il ne faudrait pas que le responsable du Dim de territoire soit le « big chief » et que les autres soient les soutiers ».

 

Tags : ,

Ces articles peuvent également vous intéresser