Nouveau quinquennat : qu’attendent les médecins en matière de ressources humaines ?

9 juin 2017

En remportant le second tour face à la candidate du Front national, Marine Le Pen, dimanche 7 mai, Emmanuel Macron a été élu 25e président de la République française. Pour succéder à Marisol Touraine, le nouveau chef de l’État a désigné Agnès Buzyn, chercheure en hématologie et immunologue, à la tête de la Haute autorité de santé (HAS) depuis un an. Cette spécialiste de la transplantation est passée par les conseils scientifiques de l’Agence de la biomédecine, de l’Etablissement français du sang. Elle a présidé l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, puis, plus récemment, l’Institut national du cancer (INCa). Qu’attendent les médecins de cette nouvelle ministre « des Solidarité et de la Santé » (enfin professionnelle de santé !) sur la thématique des ressources humaines ? Profil Médecin a interrogé cinq syndicats sur leurs espoirs et leurs requêtes pour leur profession.

Dr Jean-Paul Ortiz, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF)

Renouer le dialogue et sauvegarder l’esprit conventionnel

Nous souhaitons revenir à des échanges équilibrés et retrouver une véritable co-construction, la dernière loi de financement de la Sécurité sociale de novembre 2016 ayant donné au directeur d’Assurance maladie la possibilité de baisser unilatéralement certains tarifs médicaux. Nous restons opposés au Tiers Payant Généralisé, qu’il faut supprimer.

Revoir les carrières et statuts

Nous attendons du nouveau ministère qu’il nous soutienne pour réorganiser et moderniser l’exercice libéral médical, y compris financièrement. Nous sommes favorables à un exercice regroupé des médecins libéraux y compris de façon virtuelle sans imposer de modèle unique. Il conviendra d’évoluer vers la mixité des statuts -libéral et salarié- et des lieux d’exercice : ce modèle sera la nouvelle façon d’exercer la médecine et il faut accompagner cette mutation.

Réformer la formation médicale

La première année commune d’études en santé (Paces) est un magnifique échec, en particulier sur le versant pédagogique. Il faut revoir le numerus clausus, orienter le deuxième cycle vers la découverte de l’exercice professionnel y compris libéral et instaurer partout des stages d’interne en cabinets de ville : bref, mettons-nous autour d’une table et réfléchissons ensemble !

Rachel Bocher, présidente de l’Intersyndicale de praticiens hospitaliers de France (INPH)

Revaloriser les carrières des praticiens hospitaliers

L’une des priorités est de revaloriser les carrières, tant sur le plan salarial qu’intellectuel, en termes de responsabilité : les chefs de service doivent pouvoir nommer leurs équipes car ils en ont la responsabilité. Il faut aussi remettre en valeur et notamment mieux financer les fonctions d’enseignement et de recherche. Quant aux salaires, certes, Marisol Touraine, dans le cadre de la réforme des carrières, a introduit un système de primes (astreintes, engagement, ancienneté, etc.). Mais ces indicateurs rendent confus le salaire des praticiens hospitaliers. Il faut simplifier les modalités des salaires car, pour un même échelon, ils peuvent aujourd’hui varier du simple au triple.

Revitaliser une gouvernance médicale

L’INPH souhaite que soit mise en place une vraie gouvernance médicalisée, car les projets et les soins doivent être décidés par des praticiens hospitaliers. Cela participe de la sécurisation du rôle des PH et permet de garantir un management de qualité.

Ouvrir le numérus clausus

Dans le contexte actuel de libre échange au niveau européen, il faut faire évoluer le numerus clausus et le Paces. Trop de jeunes français partent faire leur première année en Belgique alors même que des médecins étrangers prennent des postes inoccupés. En outre, il faut anticiper un manque de médecins tant hospitaliers libéraux à venir en raison de la pénurie démographique des médecins prévue pour 2020.

Olivier Le Pennetier, président de l’InterSyndicat National des Internes (ISNI)

Mieux prendre en compte les conditions de travail

L’une de nos revendications, à court terme, concerne l’amélioration de la prise en compte de la qualité de vie au travail et de la prévention des risques psycho-sociaux, pour diminuer les risques de dépression, de burn-out ou de suicides. Cela passera par une évaluation des modalités de travail : rappelons que certains internes travaillent jusqu’à 90 heures par semaine. Nous sommes favorables à une articulation intelligente et applicable à l’hôpital, Il faut mettre en place un décompte objectif du temps de travail des internes pour permettre une adaptation à la réalité de terrain. Nous demandons à pouvoir avoir accès à du temps de travail additionnel Nous avions obtenu un engagement de Marisol Touraine sur la mise en place du temps de travail chez les internes… Nous verrons comment cela sera traité par Agnès Buzyn.

Démystifier le burn-out

Il y a une véritable problématique de reconnaissance de la fonction d’interne : nous n’avons pas de bureau, pas d’accès aux crèches, aux parkings… Pour autant, nous sommes indispensables à l’activité des hôpitaux. Parallèlement, nous, soignants, n’osons pas dire que nous n’allons pas bien. Démystifions la thématique du burn-out ! Trop d’internes taisent leur souffrance et en arrivent à des situations dramatiques. Il faut avoir la possibilité, comme toute personne, de pouvoir s’arrêter. La qualité des soins prodigués est en jeu !

Non au raccourcissement de la formation

La réforme des études médicales mise en place par le précédent gouvernement pose problème à plusieurs titres. La durée de la formation ne peut être réduite, comme il l’a été souligné dans certaines spécialités (cardiologie, hépato-gastroentérologie néphrologie). La volonté de faire des économies en transférant les financements du post internat dans l’internat actuel nous inquiète également. Enfin, une réflexion sur les parcours de soins des patients doit être menée et cela doit basculer dans la culture médicale.

Initier un débat sur le sexisme à l’hôpital

Historiquement, l’hôpital a toujours été un environnement où l’on apprend à se détacher des concepts tels que la vie, la mort et la sexualité. De cette « désensibilisation » découle encore, même si les choses tendent à changer, un humour carabin et des rituels qui peuvent revêtir des caractères sexistes et choquants. Une réflexion sur la place de la femme à l’hôpital est nécessaire, d’autant plus que notre profession se féminise. Un rendez-vous est d’ores et déjà pris avec la secrétaire d’État au droit des femmes, Marlène Schiappa, pour en discuter.

Claude Leicher, président de MG France

Plus d’enseignants en filière générale

La filière universitaire de médecine générale, avec l’apparition en 2004 de l’internat pour tous, doit être renforcée. Elle manque cruellement de postes d’enseignants, car elle ne compte qu’un professeur pour 110 étudiants, contre un pour 10 en urologie, par exemple, alors que cette filière représente un contingent de 13 000 étudiants en comptant la totalité des internes et doctorant inscrits dans cette spécialité, soit 50% des étudiants en médecine après la 6ème année.

Booster les stages en cabinet libéral

La formation professionnalisante étant primordiale pour améliorer l’attractivité de la médecine libérale, nous devons aussi augmenter les stages en cabinet, car aujourd’hui, 90% de la formation se fait à l’hôpital. Encore faudra-t-il, d’abord, modifier les conditions d’accueil des étudiants et internes ! Un médecin libéral reçoit aujourd’hui 600 euros par mois pour cela. Il faut revaloriser ces émoluments pour motiver les médecins libéraux à accueillir plus de stagiaires.

Améliorer la formation continue

Au niveau européen, les médecins doivent se former en moyenne 40 heures par an. En France, après une journée et demi, votre budget de formation continue est consommé. Dans la mesure où l’Etat fixe nos honoraires, il est cohérent et normal qu’il participe à notre formation avec une dotation plus importante. C’est d’autant plus important que les médecins généralistes doivent avoir une connaissance très large de la médecine et que celle-ci évolue très rapidement.

Dr Max-André Doppia, président d’Avenir hospitalier

Jacques Trevidic président de la Confédération des praticiens des hôpitaux (CPH)

Rénover un indispensable dialogue social

Les changements profonds annoncés par la nouvelle équipe gouvernementale en matière de droit du travail impacteront nécessairement les relations sociales à l’hôpital pour les cinq prochaines années. Dès lors, si le gouvernement entend emprunter la voie d’accords locaux, territoriaux ou régionaux sur des sujets comme le temps de travail, la formation, les régimes indemnitaires, etc., il faut, avec les pouvoirs publics, disposer de moyens pour établir un dialogue social rénové. À commencer par la publication du décret sur le Conseil Supérieur des Personnels Médicaux des Hôpitaux (CSPMH) prévu par la loi de modernisation du système de santé. Aujourd’hui, seuls cinq équivalent-temps plein (un par président d’Intersyndicale de PH), sont chichement mis à disposition pour représenter les 100 000 praticiens exerçant à l’hôpital en France : c’est un simulacre de démocratie sociale ! La représentativité syndicale, l’allocation de moyens humains et matériels qui en découlent constitueront un enjeu prioritaire pour défendre l’exercice quotidien des praticiens et, plus globalement, pour soutenir durablement la performance du système de santé.

Attractivité des carrières médicales hospitalières

Nous avons participé à toutes les discussions des cinq dernières années sur ce sujet, qui a abouti au plan attractivité. Mais ses dispositions sont insuffisantes, peu lisibles et toujours pas appliquées. Nous regrettons que les mesures que nous proposions (suppression des 5 premiers échelons pour améliorer le salaire en début de carrière de PH et valorisation du temps de travail en permanence des soins) aient été retoquées par Bercy. Nous avons besoin d’être rapidement rassurés en ce que la ministre de la santé entende que le niveau de souffrance constaté à l’hôpital n’est pas qu’un épiphénomène …

Clarifier le système de DPC

Malgré sa réforme récente, le Développement Professionnel Continu (DPC) reste une usine à gaz : trop de bureaucratie, personne n’y comprend rien ! Le décret sur les Conseils Nationaux Professionnels (CNP) n’est toujours pas paru, leur modèle de financement est inconnu. Pourtant, le Président Macron l’a maintes fois répété : la formation continue est essentielle. Les PH doivent voir ses moyens renforcés : temps, financement et organisation, pour intégrer les innovations tout au long de leur vie professionnelle. Un praticien devrait ainsi savoir en début d’année le budget dont il pourra disposer pour remplir ses obligations DPC et améliorer la qualité et la sécurité de ses soins au sein de son équipe.

 

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