Médecin légiste, l’art de faire parler les morts… et les vivants

15 novembre 2021 annie guerault médecin légiste

Passionnant, ce métier, plus que d’autres unique en son genre dans notre système de santé, se caractérise par un domaine d’intervention plus large qu’il n’y paraît.

La fonction ne se limite pas à l’image d’Épinal savamment véhiculée par le Septième art. Commençons par le versant le moins connu, la victimologie. Le médecin légiste est en effet aussi là pour prendre en charge les victimes vivantes d’agressions notamment physiques ou sexuelles. « L’examen médico-légal a pour but de constater les lésions traumatiques et de déterminer si celles-ci sont compatibles ou non avec l’histoire traumatique rapportée par la victime. Cet examen permet aussi de déterminer l’Incapacité totale de travail (ITT) pénale qui en découle car en cas de coups et blessures, cette période d’ITT est l’un des facteurs qui aide le magistrat à qualifier l’infraction commise par l’auteur des faits (contravention ou délit) », explique le Docteur Annie Geraut, médecin légiste à l’Institut de médecine légale de Strasbourg.
Le deuxième champ, incontournable, est, bien sûr, la thanatologie ou science des morts. Dans ce cadre, le médecin légiste se déplace sur les lieux où ont été découvertes des personnes décédées de manière suspecte voire, à l’évidence, criminelle. Et ce, à la demande des autorités publiques (officiers de police judiciaire de Police ou de Gendarmerie, magistrats). A la demande des autorités, le corps est transporté à l’Institut médico-légal où, là encore, le professionnel de santé se limite strictement à pratiquer ce que la justice lui ordonne. En l’occurrence, un examen de corps externe après avoir effectué un scanner mais sans dissection ainsi, éventuellement, que des prélèvement à visée toxicologique. Néanmoins, il est possible que les investigations requises soient plus poussées et que l’on procède alors à une autopsie médico-légale. Là, il s’agit d’inciser pour ouvrir diverses cavités (thorax, abdomen, face postérieure du tronc, boîte crânienne…). Le but est d’examiner chaque organe à la recherche de lésions profondes. A la clef, des prélèvements toxicologiques, génétiques mais aussi histologiques afin de diagnostiquer des lésions microscopiques, confirmer la présence d’algues diatomées en cas de noyade etc.
« Quand on est face à un cadavre, on se pose systématiquement quatre questions, résume le Docteur Geraut. Sur le terrain, le corps a-t-il été déplacé ? Est-il identifié ? Quel est le délai post mortem ? Quelles sont les causes de décès au regard du contexte accidentel, suicidaire, criminel ou de mort naturelle. »

« Nous restons très prudents et factuels dans nos conclusions »

Il n’est pas rare que le médecin légiste apporte des éléments qui favorisent l’avancée de l’enquête. Ainsi, en cas de meurtre par strangulation, il lui est possible d’en déterminer le moyen. Ainsi des traces d’ongles peuvent orienter vers un geste réalisé manuellement sans port de gants. « Pour autant, nous restons très prudents et factuels dans nos conclusions, tempère Annie Geraut. Lorsque le magistrat nous soumet un scénario décrit par l’auteur supposé des faits, par exemple lors de la reconstitution, nous lui précisons s’il est possible et concordant ou pas. Mais ce n’est pas à nous de l’établir. »
Enfin, il arrive que le médecin apporte tout bonnement son concours à la santé publique notamment en cas de mort subite sans motif apparent. Là, ses investigations sont susceptibles de confirmer l’identification de pathologies génétiques avec, à la clef, la mise en relation avec une équipe médicale spécialisée pour diligenter un suivi médical de la famille.
Ce descriptif du métier pourrait être en contradiction avec la vocation du médecin et le sacrosaint Serment d’Hippocrate, lequel commande prioritairement de sauver la vie. « Non, je ne suis pas d’accord, rétorque le Docteur Geraut. Le Serment d’Hippocrate n’est pas dédié qu’à la médecine thérapeutique. Par ailleurs, quand une personne a été tuée, il est important de mettre en évidence ce qui lui a été infligé. C’est en quelque sorte son droit et le devoir de la société. »

« Il est essentiel de beaucoup verbaliser les choses »

« Je suis arrivé dans ce service en 1992 totalement par hasard, dans le cadre d’un stage, se souvient l’intéressée, qui a fait toute sa carrière au sein de l’Institut médico-légal alsacien. Cela m’a d’emblée passionnée. J’ai été séduite tant par la démarche extrêmement rigoureuse qu’impose la médecine légale que par le fait que nous sommes confrontés à des aspects très divers de la médecine et en lien avec des univers autres que celui médical. » Sans compter un art qui fait la part belle aux progrès technologiques et aux innovations, ce qui impose de se former régulièrement.
Quid du sentiment ou pas de faire œuvre de justice en contribuant à l’établissement de la vérité sans pour autant jouer les Torquemada en blouse blanche ? « Même si nous sommes là pour les victimes, chacun doit rester à sa place, tempère Annie Geraut. Nous devons demeurer factuels et nous limiter à établir une vérité médicale. Ensuite, que notre travail soit une pierre à l’édifice, nous en sommes pleinement conscients. Cependant, ce n’est pas un élément auquel nous pensons quotidiennement mais plutôt que nous avons au fond de nous, dans notre cœur. »
Justement, faut-il avoir celui-ci bien accroché lorsque la scène de crime vire à l’horreur ? « Il n’est pas donné à tout le monde de pouvoir supporter visuellement certaines choses. Parfois, c’est dur, répond pudiquement Annie Geraut qui n’est pas sujette aux cauchemars. Il est essentiel de beaucoup verbaliser les choses entre nous. » Le reste est affaire de concentration et de détachement lors de l’examen : « A ce moment-là, il faut être hyper clinique et factuel afin de ne rien laisser passer. Notre cerveau est entièrement focalisé sur cette exigence. Notre émotion ne doit jamais interférer pour ne pas parasiter l’analyse. »

Quel cursus ?
Le futur médecin légiste suit, dans un premier temps, l’ensemble du cursus menant à l’obtention du DE de docteur en médecine avant de se spécialiser en passant le DES de médecine légale.
Ce dernier comprend quatre semestres et diverses matières : thanatologie générale, aspects médicaux des agressions, expertises médico-légales, toxicologie, aspects médico-légaux de la sexualité, etc. Cette formation est aussi pratique avec la participation des étudiants à des autopsies et à des expertises médico-légales.
Soit, au total, dix ans d’études.

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