« Aujourd’hui, les acteurs de soins ont une forte envie de se lancer dans la télémédecine »

21 juin 2019

Depuis le 15 septembre, la téléconsultation d’un médecin généraliste ou spécialiste peut être remboursée par la Sécurité sociale à certaines conditions. Il en va de même pour la télé-expertise, depuis le 10 février dernier. Où est est-on depuis ? Le point avec Nathalie Salles, Présidente de la Société française de télémédecine (SFT) et Chef du pôle de gérontologie clinique du CHU Bordeaux.

Depuis quelques mois, deux types d’actes de télémédecine sont pris en charge par l’Assurance maladie. Quels sont vos constats ?

Nathalie Salles : Aujourd’hui, sur l’ensemble du territoire national, les acteurs de soins ont une forte envie de se lancer dans la télémédecine, en ville comme à l’hôpital, qu’il s’agisse des médecins généralistes et des médecins spécialistes mais aussi des infirmiers, des pharmaciens, des chirurgiens-dentistes etc. Tous ont à cœur de voir des projets se développer en ce domaine. Toutefois, la télémédecine ne s’improvise pas. Elle nécessite, dans sa mise en œuvre, de changer un certain nombre de pratiques. Elle implique que les acteurs communiquent entre eux, intègrent un parcours coordonné autour du médecin traitant et se fassent mutuellement confiance. Elle transforme leur façon de travailler. C’est la raison pour laquelle seuls 20 000 actes environ ont été facturés depuis l’entrée de la téléconsultation dans le droit commun.

Quelles sont les disciplines médicales les plus propices à la télémédecine ?

N. S. : Toutes les disciplines peuvent bénéficier de la télémédecine. À l’heure actuelle, par exemple, de nombreuses téléconsultations, toutes spécialités médicales confondues, sont organisées en Ehpad. Nous commençons également à en voir en médecine générale, en cardiologie, en psychiatrie… ou encore, pour le suivi de plaies chroniques (ulcères et escarres). Elles sont organisées à l’hôpital, en maisons de santé pluridisciplinaires ou en cabinet libéral. La télé-expertise est, quant à elle, fréquente en dermatologie. Dans ce cas, la photo d’une plaie ou d’une anomalie sur la peau est envoyée à un dermatologue pour en savoir plus sur la conduite à tenir. Nous observons également de nombreux actes de télésurveillance en cardiologie, en néphrologie et en diabétologie notamment, bien que ceux-ci ne soient pas, pour l’heure, pris en charge par l’Assurance maladie. Nous constatons un impact positif pour les patients suivis à distance : ils sont, de manière générale, moins souvent hospitalisés et, s’ils le sont, moins longtemps. Aussi, nous attendons avec impatience l’entrée de la télésurveillance dans le droit commun (qui, pour l’heure, reste dans le champ des expérimentations, N.D.L.R), de même que le développement du télésoin, prévu dans la loi de santé 2019 en cours de discussion au Parlement.

Depuis 2012, des téléconsultations ont lieu au sein du pôle de gérontologie clinique du CHU de Bordeaux. Comment s’organisent-elles ?

N. S. : Nous disposons d’une plateforme web sécurisée de télémédecine qui nous permet de répondre aux sollicitations émanant des médecins ou infirmiers coordonnateurs des Ehpad de notre région ou des médecins généralistes de leurs résidents. En fonction des besoins, une téléconsultation est planifiée dans la semaine avec un spécialiste : gériatre, cardiologue, psychiatre, dermatologue, neurologue, néphrologue, diabétologue, médecin spécialiste en Médecine physique et de réadaptation (MPR), chirurgien-dentiste etc. Le jour J, celui-ci se connecte via la plateforme et peut voir le patient et être vu en retour grâce à un système de visioconférence. Ce dernier est soit dans sa chambre, soit dans une salle dédiée de l’Ehpad. Cela permet au spécialiste de se présenter à lui, de lui poser des questions et d’interroger ses soignants qui, souvent, l’accompagnent pour éventuellement obtenir quelques éléments cliniques supplémentaires. Et ce, sachant qu’il a, au préalable, reçu le dossier médical du résident par messagerie sécurisée. Puis, le spécialiste aborde la question des solutions thérapeutiques, rédige le compte-rendu de la consultation et, le cas échéant, prépare une ordonnance. Si nécessaire, il propose de revoir le patient.

Quels sont les principaux motifs de téléconsultation ?

N. S. : En Ehpad, le motif est généralement en lien avec un trouble du comportement (agressivité, opposition aux soins, cris, insomnies…) ou une maladie neurodégénérative (maladie d’Alzheimer ou de Parkinson…). Une téléconsultation peut également être demandée en cas de diabète déséquilibré, de douleur, de plaies ou d’escarres qui ne cicatrisent pas, de problèmes rénaux ou encore, de dépression, de troubles psychotiques…

Quel bilan faites-vous de ce nouveau type de relation patient-médecin ?

N. S. : Je réalise moi-même des téléconsultations en tant que gériatre. La discussion avec le patient se fait de la même manière qu’en présentiel. Elle peut même être plus aisée puisque, lorsque le patient vient à l’hôpital, il peut être mal à l’aise et ne penser qu’à une chose : rentrer au plus vite chez lui. Par ailleurs, la consultation est souvent très efficace. En effet, non seulement toutes les données sont partagées en amont mais, en prime, l’aide-soignant, l’infirmier, le médecin, le kinésithérapeute ou même l’animateur présent lors de la consultation peut interagir et fournir des informations auxquelles le patient ne pense pas toujours : des douleurs dans une situation donnée, un traitement déjà tenté mais mal supporté par le passé… Cela facilite le diagnostic et le choix du traitement adéquat. Enfin, cela permet aux personnes résidant en Ehpad, lesquelles sont souvent très âgées et atteintes de pathologies multiples, de pouvoir obtenir un rendez-vous avec un spécialiste dans la semaine sans qu’elles aient, ensuite, à se déplacer. C’est très confortable pour elles.

Un déploiement progressif qui tend à s’accélérer

L’Assurance maladie a dressé un bilan à six mois des téléconsultations. Ainsi, « au 17 mars 2019, 7 939 actes de téléconsultations ont été pris en charge », a-t-elle chiffré, tout en notant une « montée en charge progressive qui s’est cependant accélérée depuis le début de l’année 2019 ». En effet, si le nombre moyen d’actes se situait en-dessous de 200 actes par semaine en 2018 (sauf la semaine de Noël), il dépassait la barre des 700 actes hebdomadaires dès la mi-février (752 lors de la semaine du 10 mars).
Pour l’heure, ce sont les médecins généralistes qui pratiquent le plus les téléconsultations (40,2 % des actes facturés), suivis par les autres spécialistes (32,2 %), a précisé l’Assurance maladie. Les centres de santé génèrent, quant à eux, près d’un cinquième de ces actes (19,9 %) et les établissements de santé les 7,7% restants, le plus souvent facturés dans le cadre des consultations externes.

Entre 12 et 58,50 euros

Les médecins peuvent désormais facturer des téléconsultations et des télé-expertises, selon les modalités prévues par l’avenant n°6 à la convention médicale sur la télémédecine, signé en juin 2018. Ainsi, la téléconsultation est facturée par le médecin téléconsultant au même tarif qu’une consultation en face-à-face, soit entre 23 euros et 58,50 euros selon la spécialité et le secteur d’exercice. La rémunération de la télé-expertise oscille, elle, entre 12 et 20 euros en fonction du niveau d’expertise requis. À noter que cette dernière est, pour l’instant, seulement ouverte aux patients en Affection longue durée (ALD), atteints de maladies rares, résidant en zones dites « sous denses », en structures médico-sociales ou détenus. Elle sera élargie à tous à partir de 2020.

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