Enquête sur la mobilité des médecins : l’interview des experts !

7 juillet 2017

Les médecins sont-ils heureux ? Quels critères les poussent à changer de poste ? Que pensent-ils de leurs conditions d’exercice ? Sont-ils satisfaits des opportunités professionnelles qui leur sont offertes ? Pour élucider toutes ces questions, Profil médecin a mené sa propre enquête auprès des médecins, dont voici les résultats. Mais comment interpréter ces chiffres ? Que signifient ces tendances ? Pour le comprendre, nous avons interrogé Olivier Mariotte, ancien médecin généraliste et président de l’agence de conseil en affaires publiques Nile et François-Xavier Schweyer, professeur de sociologie à l’École des hautes études en santé publique (EHESP).

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Les résultats montrent que les médecins semblent plus sensibles à un bon équilibre travail/vie privée qu’à une meilleure rémunération. Que signifie cette tendance, selon vous ?

Olivier Mariotte : À mon sens, il faut relativiser ce résultat. Cela montre que le rapport ambigu entre l’argent et la santé est toujours bien réel. Les médecins font aussi ce métier pour les revenus confortables qu’il peut engendrer. Un jour, il faudra se décider à parler argent et santé et poser le problème en termes d’investissement et non de comptabilité, comme c’est le cas aujourd’hui.

J’ajouterais que ce critère d’équilibre entre vie professionnelle et vie professionnelle est d’autant plus présent dans les esprits qu’il est très largement diffusé par les médias.

François-Xavier Schweyer : Réponse classique dans le monde médical et ailleurs. Avant, le modèle traditionnel voulait que l’homme travaille, maximise les revenus car il devait assurer seul les ressources. Aujourd’hui, nous voyons bien que ce critère n’est plus la priorité des couples, même s’ils sont devenus plus instables. La maximisation des revenus n’est plus du tout un objectif professionnel. Et c’est d’autant plus vrai chez les libéraux que les rachats de patientèle se font moins. L’aspect capitalistique est donc moins présent.

Par ailleurs, si les médecins ne représentent pas la population la plus démunie, la revendication selon laquelle on peut toujours gagner plus demeure relativement fédératrice.

Près de 30 % des salariés se disent peu voire pas du tout satisfait de leur situation actuelle. Pourquoi ?

O.M : À travers ce résultat, je vois la carence majeure dont souffre l’hôpital : l’absence de managers et le manque de projets. Il faudra, un jour, que l’on considère qu’un hospitalo- universitaire est dans son rôle avec une vision du soin, de la recherche, de la médecine pour le patient et qu’il abandonne la gestion, l’organisation, le management, etc. Ce n’est pas parce qu’on est gradé scientifiquement que l’on est capable de prendre en compte la vie d’un hôpital. L’évolution moderne sépare de plus en plus le rôle traditionnel du médecin en hôpital de celui de super ingénieur. C’est positif.

F-X.S : Je ne suis pas surpris par ce chiffre. Ce n’est pas un chiffre qui exprime un cri ou une colère. Nous pouvons aussi lire ce chiffre de cette manière : il y a quand même plus de 70 % qui se disent satisfaits. Reste qu’il y a des hôpitaux et des cliniques qui ne vont pas bien. Ici, des restructurations budgétaires qui génèrent de la pression. Là, une difficulté dans le recrutement parce qu’il s’agit d’une zone qui n’attire pas ou par retour à l’équilibre budgétaire.

Dans les critères liés à l’épanouissement professionnel, la perspective de gagner en responsabilité n’est pas une voie privilégiée par les médecins. Comment l’interprétez-vous ?

O.M : Cela me semble assez congruent avec le fait qu’il n’y ait pas de projet dans les hôpitaux. Qu’on le veuille ou non, un hôpital est une entreprise avec un grand nombre de salariés à laquelle on demande de faire du chiffre, de lutter contre le déficit. Et dans une entreprise, il y a un projet.

À partir du moment où l’on est un maillon dans une équipe en place et que tout fonctionne bien. Pourquoi gagner en responsabilité ? Que gagne-t- on puisque dans le service public, par exemple, le salaire augmente par l’ancienneté ?

F-X.S : Il ne faut pas se méprendre sur ce que ça signifie. Il ne faudrait pas appliquer au médecin le prisme managérial. Prendre en responsabilité, cela équivaut à devenir chef d’équipe ou chef de pôle. Dans le monde médical, ça n’est pas la priorité. Un praticien en début de carrière a déjà de grandes responsabilités. Un jeune manager, lui, veut gagner en responsabilité. Car sa carrière s’affirme à mesure qu’il gagne en responsabilité. Mais cette profession demeure prudentielle. Il n’y a donc rien de surprenant à ce que ce critère arrive dans les dernières réponses des médecins.

L’animation d’équipe ou la fonction de chef de pôle peuvent être très attrayantes. C’est une diversification d’activité. Et les médecins sont friands d’une activité non routinière. Mais il ne s’agit pas de changer de métier pour autant. Ce sont des fonctions intéressantes mais très exposées, qui engagent et peuvent ne pas être confortables. Tout le monde n’a pas le leadership pour ça.

L’un des résultats de l’enquête vous a t-il particulièrement interpellé ?

O.M : Il y a une caractéristique très frappante dans cette étude : c’est la faible différence entre les réponses données par les hommes et les femmes. En termes de satisfaction et d’épanouissement, ils répondent à peu près la même chose. Pas de différence non plus dans les origines du changement. Les tendances qui gouvernent les choix entre homme et femme ne sont pas différents. C’est intéressant de lire cela à l’heure où l’on vend une féminisation du métier comme une source de problèmes. C’est un point significatif et rassurant pour l’avenir de notre système de santé.

F-X.S : L’enquête est assez conforme à ce que l’on sait déjà. Toutefois je serais prudent sur une généralisation de ces résultats. L’échantillon constitué sur les réseaux sociaux donnent un effet d’homogénéisation très fort. Mais concernant la similarité des réponses entre homme et femme, cela montre surtout, selon moi, qu’il y a une mise à distance des habitudes de la profession. Avant, le médecin s’accomplissait dans son métier prioritairement à tout autre espace. Cet ethos s’est transformé avec la féminisation de la profession. En fait, cela concerne essentiellement les jeunes générations. Aujourd’hui, le critère essentiel, c’est la maîtrise du temps. La logique, sans être égocentrée, est plus individuelle. Les libéraux sont plus attentifs à cette notion. Ils ont un marché du travail plus protégé : il y a du travail et des clients solvables. Leur autonomie n’est pas contestée. Désormais, ils intègrent la notion de carrière et gardent des marges de manœuvre. Autrefois, on vissait sa plaque pour 40 ans ou l’on était dans un hôpital à vie.

Zoom sur l’enquête Profil médecin

  • Enquête lancée via les réseaux sociaux entre mars et avril 2017
  • 275 répondant
  • 119 libéraux/129 salariés, mais aussi des retraités et des internes
  • Moyenne d’âge : 45 ans
  • 43 % travaillent dans une ville de plus de 100 000 habitants, 16 % dans une ville entre 50 000 et 100 000 habitants, 26% dans une ville entre 10 000 et 50 000, 15 % dans une ville de moins de 10 000 habitants.
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