Enquête sur la qualité de vie au travail des médecins : la fidélisation au coeur du recrutement médical

16 décembre 2019

Pour la troisième année consécutive, Profil médecin a mené une enquête auprès de plus de 250 médecins sur leurs conditions de travail.

Composés majoritairement de salariés (69%) et, dans une plus faible proportion, de libéraux (17%), les médecins interrogés sont essentiellement des généralistes suivis majoritairement par des gériatres, des psychiatres et des anesthésistes. Que disent-ils ? Qu’il est temps de replacer l’humain au cœur de l’organisation. En effet, une part importante des professionnels de santé interrogés pointe la nécessité d’être « reconnus dans leur travail » et de « prendre part aux décisions ». Le spectre du burn-out est quant à lui toujours présent et à l’origine de bon nombre de départs. Au même titre qu’un « environnement de travail jugé difficile ».

Cette enquête qui intervient dans un contexte de crise du monde hospitalier, montre une nouvelle fois que la qualité de vie au travail des médecins est devenu un enjeu majeur pour enrayer « la fuite » des soignants. Le Professeur Philippe Colombat, chercheur en psychologie du travail et des organisations à l’université de Tours et président de l’Observatoire national de la qualité de vie au travail (QVT) des professionnels de santé, revient, pour nous, sur les points saillants de l’enquête.

Un contexte de travail altéré par la surcharge de travail…

Lassitude, perte de sentiment d’accomplissement, déshumanisation du soin… Près de 80 % des médecins disent s’être déjà sentis en situation de burn out. La cause ? « La surcharge de travail » suivie de près par « la hiérarchie et le manque de soutien ».

« La problématique de l’épuisement des professionnels de santé est observée et questionnée depuis plusieurs décennies, rappelle le Professeur Philippe Colombat. Mais elle a pris de l’importance notamment avec l’évolution de nos sociétés qui vieillissent, imposant des changements dans la pratique, et ce, à moyens constants. Idem pour la gestion des urgences où les entrées se multiplient sans moyens supplémentaires et la charge budgétaire qui a conduit à la fermeture de lits et à la suppression de postes. Tant que nous n’aurons pas d’autres systèmes de financement, il sera difficile de sortir de cette logique. »

 

… et un environnement de travail difficile

« Mauvaise ambiance au travail », « la hiérarchie » « le manque de soutien» et « perte de satisfaction professionnelle » figurent parmi les autres réponses avancées pour expliquer l’épuisement professionnel. Elles avoisinent, cumulées, les 60 % et se placent au-dessus de la surcharge de travail. « Selon moi, ce groupe de réponses relève du même sujet : le management. Et il vient corroborer la raison pour laquelle les médecins changent de poste : un environnement de travail difficile (32 %), interprète le Professeur Colombat citant, en écho, une étude menée il y a quelques années au sein d’un service de chirurgie viscérale. L’amplitude horaire allait de 56 à 90 h par semaine. Il n’y avait pas de corrélation entre ce volume et un épuisement professionnel. En revanche, trois causes ressortaient nettement : le manque de reconnaissance, d’encadrement et de formation. »

Travail en équipe, activité variée et autonomie : des critères déterminants

Si le pourcentage de médecins satisfaits de leur qualité de vie au travail a diminué (47,32% satisfaits en 2019 contre 56,74% en 2018), le sens du métier n’est quant à lui pas remis en question. Les répondants sont dans leur très grande majorité attachés à la notion de service public et plus encore au travail en équipe (55,8 %), moteurs importants dans leur choix de carrière hospitalière. De même, « l’équipe médicale » est citée à 65% comme un critère « très important » pour s’épanouir dans l’environnement de travail alors que la réputation de l’établissement n’est citée qu’à 25%.

« Le dysfonctionnement au sein des équipes hospitalières est l’une des causes principales des départs, rapporte le Pr Colombat. La qualité de vie au travail des médecins dépend beaucoup de la collaboration des médecins entre services et de la gouvernance de l’établissement. »

Une révolution managériale serait-elle la clé de tous les maux ? « Management et gouvernance sont les deux piliers sur lesquels il faut agir pour inverser la tendance, estime le président de l’Observatoire national de la qualité de vie au travail des professionnels de santé. Cela nécessite d’impulser un réel changement de culture. Il faut revoir la formation managériale de ces professionnels. » Pour le professeur Colombat, les services hospitaliers devraient miser sur une gouvernance tricéphale réunissant un cadre, un chef de service « soin » et un chef de service « recherche ».

« Bon nombre de chefs de service prennent les décisions seuls. Or l’idée du management d’équipe, c’est l’intelligence collective. Lorsqu’il n’y a pas d’implications dans la prise de décision ou d’autonomie, les gens partent. »

Un constat qui vient conforter les chiffres de l’enquête. Puisque la très grande majorité des médecins place l’autonomie (95 %), la participation aux décision (87,05 %), la relation avec la hiérarchie (79,91 %) et la reconnaissance du travail effectué (83,9 %) comme des critères « très ou plutôt importants » dans leur travail.

« Fidéliser les médecins, c’est donner ce pouvoir d’agir qui leur apporte responsabilisation et reconnaissance »

La fidélisation passe par la responsabilisation du professionnel de santé : le Professeur Colombat, ancien chef du service oncologie pédiatrique du CHRU de Tours, en est convaincu. Il a développé avec ses équipes un modèle de management basé sur une démarche participative. « Impliquer, responsabiliser, et finalement fidéliser passent par l’écoute de l’individu via la mise en place d’espace d’échange au sein des équipes. Cela peut prendre la forme de staff pluriprofessionnel mais aussi de journées de formations internes, de réunions centrées sur le soutien des équipes, etc. »

Le deuxième volet repose sur une démarche projet et la création de groupes de travail « pour donner toute latitude aux équipes de trouver une réponse à une situation ou l’améliorer, par exemple. » Et le professeur Colombat d’insister : « Le dialogue interprofessionnel et le management participatif permet d’améliorer la qualité de vie au travail des médecins… et la prise en charge des patients. »

Car les répercussions quant à la fidélisation des médecins sont nombreuses. D’abord cela permet de stabiliser les équipes. Les conditions de travail s’en trouvent profondément améliorées puisqu’elles permettent entre autres de lutter contre les sous-effectifs. Ensuite, l’établissement y gagne en termes d’image : quel meilleur vecteur d’attractivité que des professionnels de santé attachés à leur lieu d’exercice ?

Plan hôpital : « Renforcer le management de proximité »
L’un des axes du plan Investir dans l’hôpital dévoilé le 20 novembre 2019 par le gouvernement pour répondre aux crises que traverse le monde hospitalier repose sur « le renforcement de l’attractivité de l’hôpital et la fidélisation des soignants ». Parmi les mesures, le gouvernement a notamment annoncé des revalorisations financières, primes, évolution de statut, etc. Réformer la gouvernance des hôpitaux constitue le deuxième axe de ce plan d’urgence. Pour cela, Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé a annoncé une « meilleure intégration des soignants à la gouvernance des hôpitaux» et « une valorisation du management de proximité ». La place du médecin devrait être renforcée dans la prise de décision. Une mission nationale sur ce sujet a été confiée au Pr Claris, chef de service aux Hospices civils de Lyon.

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