Médecin en prison, une question de devoir

12 décembre 2018

Faire le choix d’exercer auprès de personnes incarcérées, c’est agir pour éviter la double peine qui les empêcherait d’accéder, au même titre que tout citoyen, au droit à la santé et à l’accès aux soins. Si l’enjeu est incontestable sur le plan déontologique, le nombre de volontaires demeure très insuffisant. C’est que la réalité du terrain dissuade beaucoup de franchir le pas…

Pour le Docteur Damien Mauillon, médecin à la maison d’arrêt d’Angers et Président de l’Association des professionnels de santé exerçant en prison, la formulation médecine carcérale ne fait pas sens. Il convient plutôt de parler de médecine en milieu carcéral. La nuance induit le fait que l’objectif est de faire en sorte que la médecine soit la même, en termes de qualité et de continuité, hors les murs d’une prison qu’à l’intérieur. Ce qui, de facto, n’est pas encore le cas.

Dans leur rapport intitulé « Évaluation du plan d’actions stratégiques 2010-2014 relatif à la politique de santé des personnes placées sous main de justice », l’Inspection générale des Affaires sociales (Igas) et l’Inspection générale des services judiciaires (IGSJ) pointaient en effet du doigt, en 2015, une offre de soins très disparate et encore insuffisante.
Certes, entre 1997 et 2013, un renforcement des moyens humains dans les Unités sanitaires en milieu pénitentiaire (USMP) a bien eu lieu avec, à la clef, un doublement des personnels de santé. Un renfort cependant annihilé par l’augmentation, durant la même période, de 25 % de la population carcérale. Sans compter d’importantes disparités et insuffisances dans l’offre de soins.

De locaux globalement sous-dotés

Celles-ci sont d’abord « liées à des difficultés de recrutement fortes », affirme le rapport. Ainsi, 22 % des postes de spécialistes budgétés n’étaient pas pourvus de même que 15,5 % des postes de psychiatres budgétés. Avec, à la clef, des effets de concentration dans certaines USMP et de sous effectifs pour d’autres.
« Tant la démographie médicale dans certaines régions que la faible attractivité de l’exercice en prison (notamment l’éloignement géographique de certains établissements) expliquent les fortes disparités entre régions », affirmaient l’Igas et l’IGSJ. Sans compter un cadre d’exercice pas toujours propice ni incitatif : « Les conditions matérielles de fonctionnement des USMP pâtissent de locaux qui demeurent globalement sous-dotés, singulièrement en maisons d’arrêt et centres pénitentiaires : les surfaces réelles sont 30 à 40 % inférieures en moyenne aux recommandations de l’Anap. »

Pour pallier ces carences, « le développement de la télémédecine en milieu carcéral est nécessaire et pertinent mais ne saurait être qu’une modalité complémentaire d’accès aux soins », peut-on lire dans le rapport.
En somme, insiste le corps médical, les possibilités offertes par la télémédecine ne doivent pas servir de prétexte à réduire des postes dans les USMP dans les spécialités déficitaires, eu égard à la difficulté de recruter.

L’hôpital est l’employeur

La loi du 18 janvier 1994, relative à la santé publique et à la protection sociale de 1994, consacre l’indépendance des professionnels de santé vis-à-vis de l’Administration pénitentiaire (AP) en transférant au ministère de la Santé la prise en charge de personnes incarcérées. Jusque-là, c’était l’AP qui payait, ça et là, des médecins généralistes de ville pour aller effectuer des vacations en prison.

Désormais, donc, les médecins qui officient en milieu carcéral dépendent systématiquement d’un établissement (CH ou CHU) lequel est l’employeur. Dans la très grande majorité des cas, il s’agit de praticiens hospitaliers (PH).
Néanmoins, lorsque l’établissement pénitentiaire est de très petite taille, il peut s’agir d’un médecin de ville mais qui demeure missionné et rémunéré par l’hôpital. De même, les PH affectés à une prison le sont à temps plein ou partiel, selon le nombre de détenus qu’elle abrite.

« Nous sommes des équipes hospitalières qui faisons de l’ambulatoire, précise le Dr Mauillon. La prévalence des maladies contagieuses (Sida, hépatite C, tuberculose, galle etc.) ainsi que des comportements addictifs (tabac, alcool, drogue) est plus importante qu’au sein de la population générale. Les conditions sont difficiles dans le sens où les patients ne sont pas forcément conciliants, coopérants ni observants. En outre, ils sont parfois agressifs. »

C’est pourquoi, lors des consultations, un surveillant est systématiquement présent au sein de l’USMP sans pour autant que le secret médical ne soit violé puisque l’intéressé n’est pas présent dans le cabinet lui-même, sauf si, bien sûr, le patient est reconnu comme étant dangereux. Un cas de figure qui demeure exceptionnel. Sans compter la possibilité, pour le médecin, de déclencher l’alarme à tout moment.
« On se sent finalement presque plus protégé au sein d’une USMP qu’au service des urgences d’un hôpital où les agressions sont légion » , sourit le Docteur Mauillon.

La prison, un désert médical

Pour le reste, une USMP ressemble à une Maison de santé pluridisciplinaire qui regroupe différents professionnels de santé (médecins, dentistes etc.). À noter que les troubles psychiatriques étant nombreux (ils affecteraient huit détenus sur dix et sept détenues dur dix, N.D.L.R.), il n’est pas rare que les USMP soient scindées en deux composantes, l’une dédiée aux soins psychiatriques (composée de professionnels issus d’un établissement psychiatrique), l’autre aux soins somatiques (composée de professionnels issus d’un CH ou CHU).

Reste que la prison est, à elle seule, un désert médical. « L’attractivité pour aller travailler en prison n’est pas extraordinaire et la situation ne cesse d’empirer », regrette le Dr Mauillon. Pourtant, les démarches à effectuer sont simples pour ceux qui le souhaitent. Outre, la possession du diplôme requis (lire encadré), il suffit d’adresser sa candidature à l’hôpital référent de l’USMP de chaque prison et de passer un entretien de motivation. L’affectation est officielle si ce dernier s’avère concluant.

Très peu de formations spécifiques

Il n’y a pas de cursus obligatoire pour exercer en prison car «c’est de la médecine générale, explique le Dr Damien Mauillon. Il suffit donc d’avoir un DES de médecine générale pour pouvoir travailler en prison.» Néanmoins, il existe quelques DU et capacités dédiés à la médecine en prison, à l’image de la capacité de médecine pénitentiaire dispensée par l’Université de Paris Descartes. Les contenus pédagogiques comportent notamment des enseignements sur l’environnement carcéral dans sa dimension juridique, organisationnelle et sécuritaire mais aussi sur la spécificité des soins dispensés aux personnes détenues au regard des pathologies dominantes en prison.

Pas d’urgence pour les urgences

« L’organisation de la Permanence des soins (PDS) aux heures et jours de fermeture de l’USMP est une problématique qui concerne la totalité des établissements pénitentiaires », déploraient, dans leur rapport de 2015, l’Igas et l’IGSJ. Avec toutes les conséquences que l’absence de personnel soignant les week-ends et jours fériés peut avoir, y compris en ce qui concerne la distribution des médicaments, C’est pourquoi les établissements pénitentiaires sont invités à garantir aux détenus la possibilité de contacter, en cas de besoin, le médecin régulateur du Centre 15.