Médecin manager : « Il ne s’agit pas de transformer le médecin en gestionnaire »

30 novembre 2016

Chef de pôle, chef de service, médecin coordonnateur … : bon nombre de médecins se retrouvent, de fait, en position de manager. Comment faire coïncider l’engagement des médecins et le leadership médical avec des logiques managériales ? Pour accompagner ce mouvement, de plus en plus de formations voient le jour. Exemple à l’École des hautes études en santé (EHESP) où Laetitia Laude, Professeure à l’Institut du management à l’EHESP et chercheuse en organisations de santé a mis en place, en 2015, un Diplôme d’établissement (DE) de médecin manager.

 

Quelle est la genèse du Diplôme d’établissement de médecin manager ?

Laetitia Laude : L’idée est née après avoir mené un projet de recherche entre 2012 et 2014 sur l’émergence des médecins dans le pilotage managérial à l’hôpital. Après avoir mené des enquêtes de terrain auprès de médecins et observé ce qui se faisait à l’étranger, nous nous sommes vite rendu compte que pour de nombreux médecins, notamment en France, le management renvoie à des choses négatives. Il apparaît comme une contrainte administrative, une fonction peu valorisée ou encore une bureaucratisation des services cliniques. Les médecins sont encore peu formés aux fonctions managériales comme si le leadership clinique était une caution suffisante pour assumer l’encadrement d’une équipe. Le management n’est pas associé à une compétence en tant que telle. Et pourtant, les besoins en la matière sont importants !

D’où vient ce besoin d’apprendre précisément à manager ?

LL : Les équipes sur le terrain rencontrent des difficultés, comme partout ailleurs, dans l’organisation du travail, la santé au travail, l’harmonisation entre la vie professionnelle et personnelle etc. Nos recherches nous ont donc menés à nous interroger sur la manière de répondre aux besoins de management sur le terrain tout en prenant en considération le rejet dont il est l’objet. Nous sommes donc partis du postulat qu’il fallait médicaliser le management au lieu de bureaucratiser la clinique. Notre postulat est clair : les médecins ne sont pas des gestionnaires. Nous ne souhaitons pas en faire spécialistes des ressources humaines.

De plus en plus de formations en management de la santé sont créées. Est-ce révélateur d’une évolution de la profession ?

LL : L’évolution est plutôt à observer au regard des attentes des nouvelles générations de médecins. Ils sont à la recherche d’un équilibre entre la vie professionnelle et personnelle. La qualité et l’ambiance de travail deviennent une condition voire un facteur d’attractivité pour les hôpitaux. Tout cela signe probablement la fin du mandarinat traditionnel, ce chef tout-puissant, humaniste bien sûr mais qui définit seul ce qu’est l’humanisme et la manière dont il se traduit dans le travail collectif. L’environnement médical peut être très conflictuel sur le plan des valeurs et des représentations du travail entre les générations. Sur les quatorze médecins stagiaires de notre première promotion qui sont tous en situation de management, cinq ont choisi de consacrer leur mémoire  au conflit. Régler les conflits fait partie des responsabilités managériales.

Où retrouve-t-on les médecins managers ? Un profil-type se dessine-t-il déjà ?

LL : Cela concerne tous les médecins en responsabilité d’équipe ou de projet. La personne peut être médecin coordonnateur, chef de service, président de commission médicale d’établissement, directeur médical dans une clinique etc. Il n’y a pas de profil-type. A mon sens, il faut surtout que ce soit une personne qui choisisse d’être manager et ne le subisse pas. En effet, beaucoup deviennent managers parce qu’on le leur demande.

Qui ces formations attirent-elles ?

LL : Nos promotions accueillent des profils très divers. Nous avons des représentants de deux générations – les trente-quarante ans et les cinquante-soixante ans – qui sont souvent en conflit au sein des services. Nous sommes face à l’émergence de jeunes quadragénaires qui veulent faire quelque chose de cette fonction au regard de ce qu’ils ont vécu avec leur chef de service. Mais nous avons également des chefs de service qui essayent de comprendre les nouvelles générations.

En quoi ce type de formation peut-il avoir un impact sur les relations entre les professionnels de santé ?

LL : Ce DE médecin manager a pour ambition de contribuer à réduire la fracture entre le monde administratif et médical. Même si certains considèrent que cette fracture a été réduite par la mise en place des pôles d’activité, je suis plutôt circonspecte. Ils servent à faire le lien entre le chef de pôle et la direction de l’hôpital mais je ne suis pas sûre que ça ait changé la vie des équipes au sein des services. Le médecin en situation de management doit aussi être le garant de la qualité des soins et ce, dans un dialogue d’égal à égal avec les directions d’hôpital. Enfin, la littérature l’atteste : quand il y a un bon climat de travail, la collaboration dont les patients ont besoin pour être bien pris en charge est meilleure.

 

« Médecin manager », une formation en cinq actes

Destinée à des médecins qui sont déjà en situation de management, le Diplôme d’établissement (DE) médecin manager de l’École des hautes études en santé public (EHESP) s’articule autour de cinq modules :

  • les fondamentaux de la gestion ;
  • le management des équipes ;
  • la gestion de projet ;
  • la gestion des conflits et des tensions ;
  • une comparaison internationale.

La formation se déroule entre les mois d’octobre et d’avril. Le tout représente environ 160 heures : 80 heures de présentiel et 80 de travail personnel. La formation repose sur un tiers de codéveloppement et d’analyse entres pairs, un tiers d’apports de fonds universitaires et tiers de coaching conçu comme un accompagnement plus personnalisé du stagiaire. Un mémoire permet de sanctionner le diplôme en fin de session.

En savoir plus : site Internet de l’École des Hautes Etudes en Santé Public.

 

Des stagiaires, un ouvrage collectif

Chaque stagiaire du DE médecin manager réalise un mémoire. La production des deux premières promotions devrait être réunie dans un ouvrage collectif. De quoi alimenter la littérature – peu fournie en France – sur le sujet. Parmi les thématiques traitées par les stagiaires de la première promotion, la question du conflit. Comment instaurer des espaces de médiation dans les hôpitaux publics pour réguler la question des conflits ? Comment régler les conflits générationnels ? Autres points abordés : comment passer du projet de chef de service au projet du service ? Comment rendre attractif l’hôpital public ? Comment permettre une meilleure communication à l’intérieur des services mais aussi vers le pôle et les patients ? Quel doit être l’engagement du médecin ?

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