Le nouveau visage de la relation patient – médecin

8 décembre 2017

Longtemps, la relation patient-médecin a reposé sur un modèle paternaliste. Aujourd’hui, non contents d’être acteurs de leur santé, certains patients sont experts diplômés universitaires. Que révèlent ces évolutions de la relation médicale actuelle ? Quels sont les ressorts d’une bonne communication patient-médecin ? Profil Médecin décortique ce sujet foisonnant et complexe.

« La relation entre un patient et un médecin est le fondement de l’exercice médical. Il s’agit toujours d’une rencontre singulière et imprévisible, qui se construit autour du double langage, du corps et du symptôme et de celui de la parole. Celle-ci porte en elle un formidable pouvoir structurant, rassurant, mobilisateur de ressources ou au contraire source de frustrations, de colère, de revendications », résume Isabelle Moley-Massol, psycho-oncologue, psychanalyste libérale et praticienne à l’hôpital Cochin.

De la position paternaliste à l’alliance thérapeutique

Durant des siècles, la relation médicale a fonctionné sur un modèle paternaliste et hiérarchique entre un médecin détenteur d’un savoir et d’un pouvoir sur le corps du malade et un patient soumis à l’autorité médicale, souvent assigné à une position passive et infantilisante. La communication était essentiellement unilatérale, l’information descendante. « Peu à peu, dans la deuxième moitié du 20ème siècle, les patients ont pris la parole et demandé à être informés sur leur maladie, à être consultés dans les options thérapeutiques », détaille Isabelle Moley-Massol.

Pathologies chroniques et accès à l’information

Les ressorts de cette transformation sont multiples : l’évolution des mentalités, la démocratisation des études supérieures, « mais aussi l’augmentation des pathologies chroniques et des cancers, estime Marc Paris, responsable communication et animation du réseau France Assos patients (Ex CISS). Des malades au long cours acquièrent, de fait, une expertise et des compétences complémentaires à celles des médecins ». Le développement d’Internet a par ailleurs permis aux patients de s’informer sur leur santé. Puis la loi Kouchner (2002) a formalisé ces évolutions sociétales, reconnaissant le rôle et les droits des patients dans leur parcours de soins. Désormais acteurs du système de soins, les patients participent activement à l’alliance thérapeutique avec les équipes médicales.

Une relation complexe et fragile…

Toutefois, ajoute Marc Paris, « la relation patient-médecin demeure caractérisée par la dépendance du patient en souffrance et en doute vis-à-vis du professionnel de santé qui détient l’expertise et le pouvoir de prescription. Cette relation naturellement déséquilibrée n’est donc pas une science exacte. Mais chacun sait qu’un patient qui comprend son traitement y adhère mieux et a donc plus de chances de guérir ».

… Et soumise à des contingences extérieures

Encore faut-il composer avec l’existant : dans les hôpitaux, rappelle Laurence Verneuil, dermatologue, oncologue et co-auteur1 du livre « Docteur, écoutez ! », la pression économique empêche les professionnels de santé de donner autant de temps qu’ils le souhaiteraient aux patients. Pour autant, insiste le médecin, « il ne faut pas céder à la pression économique. Consacrer le temps nécessaire pour une consultation médicale [au lieu des 16 aujourd’hui traditionnellement accordées] et conserver sa posture éthique est essentielle. Et ce, pour être en accord avec nos valeurs humanistes et, lutter contre la souffrance et le burn-out du personnel médical ». In fine, conclut le Pr Laurence Verneuil, cela concourt à soigner la santé économique de la France : un mauvais recueil de la parole peut engendrer des erreurs de diagnostic, des réponses thérapeutiques inadaptées, une mauvaise observance du patient, voire une iatrogénie. « Or, Agnès Buzyn, la ministre de la Santé, a rappelé récemment que la non pertinence des soins représentait 30% du déficit de la sécurité sociale ».

La boite à outils pour une meilleure communication

Si la communication avec les patients demeure le parent pauvre de la formation initiale, les choses évoluent et des outils existent.

Formation initiale

Certaines facs comme Créteil proposent des enseignements spécifiques, tel un module d’enseignement sur la communication avec les patients au troisième cycle de médecine générale. Les élèves peuvent s’entraîner avec des patients standardisés (des acteurs spécialement formés pour l’exercice) dans des centres de simulation ou apprendre avec des serious-game.

Formation continue

Les formations continues en communication sont très intéressantes pour les médecins en exercice, recommande Eric Henry, médecin généraliste en Bretagne et ancien président du Syndicat des Médecins Libéraux (SML). « Elles nous apprennent à mieux nous connaître, à décrypter les personnalités de nos interlocuteurs, à réagir de façon adaptée, à comprendre l’origine des situations stressantes ».

Groupes balint

Les groupes balint sont composés de 8 à 12 soignants se retrouvant régulièrement pour réfléchir autour de la présentation d’un cas clinique dans lequel la relation soignant-soigné pose problème et questionne. Un ou deux leaders encadrent l’échange.

Les outils de la HAS

Considérant les difficultés de compréhension comme véritable « source d’augmentation du taux de mortalité », la HAS a mis en place plusieurs outils pour améliorer la sécurité du patient.

L’avis de l’expert : l’annonce de la maladie, un moment crucial de la relation

Trois questions à Isabelle Moley-Massol, médecin psychanalyste et psycho-oncologue à l’hôpital Cochin, auteur de « L’annonce de la maladie. Une parole qui engage » (Editions Datebe, 2004)

Profil Médecin : En quoi l’annonce d’une maladie est elle une épreuve ?

Isabelle Moley-Massol : L’annonce d’une mauvaise nouvelle en médecine est toujours une épreuve. Pour le malade, c’est un choc qui bouleverse sa vie, la représentation de son corps, sa relation aux autres et au monde, son identité, ses projets de vie. Cela peut avoir un retentissement plus ou moins traumatique selon la sévérité de la maladie, l’individu, son histoire, ses croyances autour de la maladie, les conditions de l’annonce. Du côté du médecin, se joue le « difficile à dire » qui peut générer une grande souffrance quand il faut annoncer une maladie grave, une récidive, un échec des traitements. Le médecin est confronté à l’angoisse de faire mal, mais aussi à ses limites en tant que soignant et à ses doutes. L’importance de la rencontre, de la qualité de la relation est particulièrement déterminante au moment d’une annonce difficile. Le médecin doit s’ajuster au point de vue du patient, à son rythme, ses demandes, sans projeter ce qu’il imagine être bon pour le patient.

P.M : Quelles sont vos recommandations ?

I M.M : L’annonce doit se concevoir dans une relation, à travers un lien tissé entre médecin et patient. Le médecin va à la rencontre du patient avant de dire et d’énoncer la mauvaise nouvelle. C’est pourquoi il faut d’abord écouter le patient, ses demandes, ses attentes puis avancer pas à pas dans l’information à travers des paroles authentiques. Il s’agit, pour le médecin, de tenir à disposition du patient une information qui lui permette de faire avec la maladie, à sa façon, sans lui imposer une part active dont il ne voudrait pas ou le priver d’un rôle dont il a besoin.

P.M : Quelles sont les erreurs à ne surtout pas commettre ?

I M.M : Elles sont nombreuses : garder une attitude standardisée dans les processus d’annonce, qui ne respecte pas la singularité de chacun, ses besoins, ses résistances ; tout dire brutalement ou ne rien dire alors que le patient est en attente d’une compréhension de ce qui lui arrive et de ce qui va advenir ; mentir ; bâcler l’annonce (debout entre deux portes, au téléphone, dans une chambre à deux lits, devant un aéropage d’étudiants au cours de la visite) ; annoncer trop tôt ; trop en dire (« survie à deux ans, cinq ans », alors que le patient n’a rien demandé et que l’on a, de plus, de forts risques de se tromper) ; annoncer trop tardivement après une longue attente particulièrement anxiogène ; banaliser alors que l’événement est primordial pour le patient… Du côté du médecin, l’erreur pourrait être de ne pas reconnaître combien certaines annonces sont difficiles pour lui et l’équipe médicale. Il convient alors d’en parler, à un confrère par exemple, et de ne pas rester seul avec ce poids. Le temps de l’annonce d’une maladie sévère, chronique (ou de tout événement médical bouleversant pour le patient) est aussi une opportunité pour tisser un lien vivant avec le patient. Cela peut être profondément structurant s’il se sent en confiance, respecté dans son individualité et non perçu comme un simple organe malade, s’il est soutenu autour d’un projet de soins avec l’assurance de ne jamais être lâché, quel que soit le stade de la maladie. Quand on ne peut plus rien contre la maladie, on peut encore et toujours pour le patient. C’est une histoire à vivre et partager ensemble, à des places inégales, mais profondément respectueuses l’une de l’autre.

FOCUS ETP : à meilleure observance, meilleure relation

Imaginé en 1972, le concept d’éducation thérapeutique est apparu en France dans les années 1980. En 2007, la Haute autorité de santé (HAS) rédige une recommandation sur l’organisation de l’ETP, ouvrant la voie à une institutionnalisation du concept sur le territoire. Deux ans plus tard, la loi Hôpital, patients, santé, territoire (HPST) l’inscrit dans le code de la Santé publique pour la première fois dans le monde. Xavier de la Tribonnière, responsable de l’Unité Transversale en Education du Patient (UTEP) au CHU de Montpellier décrypte cette pratique en plein essor.

« La France compte 15 millions de malades chroniques, dont 9 millions d’ALD. Plus de 4 000 programmes d’ETP y sont dispensés chaque année à 500 000 patients par an environ. L’objectif de l’ETP est d’augmenter les compétences des patients afin qu’ils soient plus autonomes dans le suivi de leur pathologie chronique et qu’ils puissent mieux la vivre. Basée sur des concepts de communication modernes, l’ETP promeut l’écoute active par reformulation, mais aussi l’utilisation d’outils éducatifs et de techniques pédagogiques (imagiers, jeux de cartes, serious game…) : elle a aussi modifié la communication entre malades et praticiens, leur permettant de mieux se connaître, tissant des liens plus intimes, créant une relation partenariale de confiance et d’entraide. Cette pratique a ouvert la voie à l’éducation pour des groupes de patients. Il existe aujourd’hui quatre formations universitaires ouvertes aux médecins comme aux patients : depuis 2010, l’université de médecine Pierre et Marie Curie (Paris) propose ainsi un Diplôme universitaire (DU) d’éducation thérapeutique ouvert à 30 % aux patients et 70 % aux soignants. Un diplôme universitaire d’un an vient d’être créé à Montpellier sur la relation patient professionnel de santé. Ouvert aux patients (au moins la moité de l’effectif) et aux professionnels de santé, il a pour objectif d’améliorer les relations entre les deux parties, d’apprendre ensemble pour co-intervenir dans des ateliers de groupe d’éducation thérapeutique et pour co-enseigner vers des étudiants en santé».

Aller plus loin : Médecins et patients experts, une affaire de co-construction

Patients-ressources, patients-formateurs, représentants des usagers… Une catégorie de patients experts est en voie d’apparition.

On parle de patient expert lorsque celui-ci a acquis, en sus de son expertise profane tirée du vécu, une expertise de gestion de la pathologie en question. Au bout de quelques années, les malades chroniques ont du recul sur leur pathologie et le circuit des soins. Leurs connaissances, leur expérience de la maladie, peuvent aider d’autres patients, voire des soignants. Certains rejoignent une association de bénévoles, d’autres vont plus loin en se formant à l’éducation thérapeutique pour aider les patients à devenir acteurs de leur maladie ou en formant des professionnels de santé. « Cette « professionnalisation » permet aux patients de sublimer leur maladie, d’engager leur pouvoir d’agir, qui les conduit à se dépasser », explique Raymond Merle, patient-expert et président de l’Association d’aide et de prévention pour les maladies rénales (AAPMR). C’est dans ce contexte qu’a été créée la première université de patient en 2010, à l’université Pierre et Marie Curie. Elle délivre un Master et des certificats de compétences aux patients dans le cadre de cursus centrés, par exemple, sur les savoirs fondamentaux propres aux maladies chroniques et le militantisme en santé. Une autre est née à Marseille en 2012, un troisième à Grenoble deux ans après, grâce, cette fois, à des patients. « L’objectif, résume Raymond Merle, est de proposer aux patients des formations spécifiques en éducation thérapeutique, pour leur permettre de poursuivre leurs études universitaires et, à terme, de trouver un emploi – par exemple en tant que médiateur pair en santé mentale – mais aussi d’acquérir une véritable qualité de patient-référent auprès des différents acteurs de santé ». Le champ de leur intervention est vaste : ETP, droits des patients, conseils aux établissements de soins, Faculté, colloques, congrès médicaux, recommandations, études. Reste à mener la bataille de la « rémunération » pour ces nouveaux professionnels. Le dernier né de ces diplômes est celui de l’université de Montpellier décrit ci-dessus.

1 Avec la pédopsychiatre Anne Révah-Lévy, mars 2016, Éditions Albin Michel