Burn out des médecins : Comment agir ?

9 mars 2018

Un tiers des Français a déjà fait un burn-out. Le syndrome de dépression liée au travail est susceptible de toucher tous les travailleurs, y compris les professionnels de santé, même si le sujet est encore tabou. Ainsi, un quart des médecins sont concernés. Pour le Dr Eric Henry, médecin généraliste et président de l’association Soins pour les professionnels en santé (SPS), il faut que la parole se libère.

Les résultats de l’enquête nationale « Parlons travail » de la CFDT, rendue publique en mars 2017, sont éloquents. En effet, 36 % des personnes déclarent avoir déjà fait un burn-out au cours de leur carrière. En outre, 58 % des personnes interrogées déclarent avoir déjà pleuré à cause de leur travail. Les professionnels de santé eux-mêmes ne sont pas épargnés : un quart d’entre eux ont déjà eu des idées suicidaires en raison de leur travail, selon une enquête de l’association Soins aux professionnels en santé (SPS) dévoilée en décembre dernier. Cela vaut pour les infirmiers (26 %), les pharmaciens (25 %) tout comme les médecins (25 %).

Perte de reconnaissance sociale
« Ce qui cause le burn-out des soignants, c’est le sentiment de perte de sens, c’est la perte de valeur et de reconnaissance de leur métier », détaille le Dr Eric Henry. Ce sentiment naît des interruptions et des sollicitations permanentes pendant le travail, des tâches administratives croissantes, des temps de pause insuffisants, de l’accumulation du travail en retard… « Les médecins, clairement exposés, ont le sentiment d’être empêchés de faire leur travail dans des conditions acceptables », reconnaît le Dr Henry.
La confrontation à des patients parfois difficiles peut renforcer leur mal-être. Certains de leurs patients ont des demandes excessives ou injustifiées, annulent sans prévenir ou sans raison sérieuse leur rendez-vous, ne coopèrent pas ou peu dans la prise en charge… d’autres encore viennent au cabinet ou à l’hôpital avec un diagnostic trouvé sur internet… « Cela renforce le sentiment des médecins de ne pas être respectés », pointe le Dr Henry. Des patients demandent aussi aux médecins des visites à domicile alors qu’ils pourraient venir en consultation. « Cela implique, pour ces derniers, le risque d’avoir des difficultés pour se garer, de se voir infliger une amende pour mauvais stationnement… Ils l’endurent parce qu’ils veulent rendre service. Mais ces petites choses à répétition peuvent miner le moral », poursuit-il.

Libérer la parole
Il y a aussi, bien entendu, la douleur des patients, physique ou morale, à laquelle les médecins sont confrontés. « Cette douleur, ils la perçoivent, ils la reçoivent… et souvent, ils la gardent pour eux, ajoute le Dr Henry. En effet, leurs familles, leurs proches, ne sont ni formés ni aptes à recevoir cette douleur. » C’est pourquoi certains craquent. « La honte pousse souvent au silence. Il est important de dépasser cette honte, de briser ce sentiment d’isolement dans la douleur et de “vider son sac“, d’exprimer ce qu’on ressent », pointe le Dr Henry.
C’est pour cette raison qu’il y a un an, une ligne d’écoute destinée aux professionnels de santé a été ouverte par l’association SPS, gratuite et accessible 24 heures sur 24 sous couvert d’anonymat (0 805 23 23 36). Elle reçue d’ores et déjà reçue plus de 2000 appels. Les trois quarts des appelants sont des femmes, un peu plus de la moitié sont des salariés. « Les infirmiers sont ceux qui appellent le plus, immédiatement suivis des médecins », pointe Eric Henry. Viennent ensuite les aides-soignants, les pharmaciens, les chirurgiens-dentistes, les kinésithérapeutes et les orthophonistes. « Les médecins appellent souvent pour des raisons d’épuisement professionnel, les infirmiers évoquent plutôt des difficultés avec leur collègue ou leur hiérarchie et les pharmaciens des problèmes de trésorerie », explique le docteur.
Les membres de l’association offrent une écoute attentive et, surtout, aident à déculpabiliser. « Beaucoup de soignants appellent et répètent qu’ils ne sont pas à la hauteur du métier, qu’ils n’y arrivent plus … nous leur rappelons qu’ils ne sont pas coupables, toujours capables mais victimes et nous les rassurons tout en leur proposant de réagir », insiste-t-il.

Qui contacter en cas de symptômes ?
Bien entendu, d’autres interlocuteurs peuvent être contactés : le médecin traitant quand le médecin en a un, la médecine du travail pour les salariés ou encore le service de l’entraide créé par le conseil de l’Ordre pour apporter une aide confraternelle aux médecins en difficulté. Il existe également des psychologues du travail possédant la certification CS30, experts en souffrance du travail, qui consultent en libéral, par exemple.
Enfin, pour faciliter l’orientation et la prise en charge des médecins concernés par le burn-out, l’association SPS est en train de référencer les professionnels compétents sur le territoire national. Elle a d’ores et déjà, pour les cas les plus graves, listé les unités dédiées qui, partout en France, accueillent spécifiquement les soignants (voir cartographie sur www.asso-sps.fr).
Elle entend également former 450 médecins, psychiatres et psychologues d’ici la fin de l’année pour améliorer les parcours et les prises en charge*. Elle a par ailleurs lancé le blog « Expressionsdesoignants » ouvert à tous les professionnels en santé épuisés ou témoin d’un épuisement qui ne peuvent parler.

Laura Chauveau

*Pour s’inscrire à ces formations, aller sur le site www.asso-sps.fr/formations.html .

Repérer les signes

Le burn-out/épuisement professionnel peut amener certains soignants à la dépression voire au suicide. Il est donc crucial de repérer au plus tôt les premiers signes, chez soi ou ses collègues. Comme le précise l’Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (Isnar-IMG) dans son guide « La prévention du burn-out », ces signes peuvent être très variés :
– somatiques : fatigue permanente, troubles musculo-squelettiques, céphalées, troubles gastro-intestinaux…
– psychiques : épuisement mental avec anxiété, stress, dépression, baisse de l’estime de soi…
– perturbations cognitives : troubles de l’attention, de la mémoire, de la vigilance…
– comportementaux : irritabilité, exaspération, hypersensibilité, agressivité, comportements contradictoires, addictions (alcool, anxiolytiques, drogues pour « se détendre » ou « être en forme »)…
– motivationnels : désintérêt, démotivation, absentéisme sont parfois compensés par une hyperactivité…

 « Le premier symptôme, ce sont les troubles du sommeil, résume le Dr Eric Henry. Le soignant réfléchit de plus en plus aux problématiques qu’il rencontre en journée, ne dort pas ou mal, accumule de la fatigue, ne récupère plus et le cercle vicieux est enclenché. » Pour éviter l’engrenage, il faut essayer de s’aérer l’esprit, prendre du recul, faire des pauses, parler de ses tracas et ne pas rester seul avec ses difficultés. « Briser la solitude, c’est le début de sa reconquête », rappelle le Dr Henry.

À noter : il existe « un test standardisé, reconnu, pour évaluer le niveau de burn-out d’un soignant : il s’agit de l’échelle de MASLACH », rappelle l’Isnar-IMG. Celui-ci évalue le niveau d’épuisement émotionnel, de dépersonnalisation et d’accomplissement personnel.
En équipe, il est par ailleurs important de se soutenir, notamment lorsqu’un des membres de l’équipe est en situation de burn-out, de libérer les émotions négatives, de déculpabiliser et d’apprendre à se protéger soi-même. Il est primordial, également, d’identifier les causes de la situation de burn-out et d’y remédier par des solutions concrètes (réorganisation du travail, fixation d’objectifs plus réalistes et plus gratifiants, définition des tâches prioritaires à accomplir, apprendre à dire non de temps en temps…).

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