Cumul emploi/retraite : une deuxième carrière

9 mars 2018

Poursuivre son exercice après la retraite est une solution prisée par les médecins, en particulier libéraux. L’amour du métier et l’aspect financier constituent les deux principales motivations.

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Selon le Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM), en 2017, on recensait 19 236 médecins retraités poursuivant une activité, sur les 75 033 praticiens inscrits au tableau de l’Ordre. Un nombre en constante augmentation depuis 2007, où ils n’étaient que 2 750 à cumuler emploi et retraite. Près de la moitié des médecins retraités « actifs » exercent en libéral et 28 % ont une activité salariée. Près de 13 % ont opté pour effectuer des remplacements et 8 % pour un exercice mixte (libéral/salariat). La CARMF (Caisse autonome des médecins de France) fait le même constat, sachant que seuls les médecins étant rémunérés en honoraires y sont affiliés : au 1er juillet 2016, ils étaient 11 520 à cumuler emploi et retraite, soit 8 % d’augmentation par rapport à 2015.

Une grande hétérogénéité régionale
Plus des deux-tiers des médecins concernés sont des hommes (79,2 % selon le CNOM). Parmi les libéraux, la CMARF observe que les médecins spécialistes sont les plus nombreux dans cette situation : 6 272 contre 5 248 généralistes. Outre la médecine générale, parmi les spécialités exercées, la psychiatrie arrive en tête avec un effectif de 1 351 suivie de la radiologie imagerie médicale avec 575 médecins, de la cardiologie (540) et de la gynécologie obstétrique (515 praticiens). Les statistiques de la CARMF montrent également une grande hétérogénéité régionale. Ainsi, à Paris intra-muros, on recense 1 756 médecins exerçant dans le cadre de ce dispositif, soit plus de 20 % des médecins cotisants. Dans le pourtour méditerranéen, la région de Toulouse et en banlieue parisienne, cette proportion varie de 9 à 12 %. En revanche, elle n’atteint que 7,3 % dans la région de Lyon (863 médecins), alors que ce territoire compte la troisième population médicale française. Dans son atlas de 2017, le CNOM note par ailleurs que globalement, les médecins qui exercent encore après leur retraite ne sont pas installés dans les zones déficitaires telles que définies par les Agences régionales de santé.

Amour du métier et complément de revenus
Qu’est-ce qui incite alors ces médecins à poursuivre leur activité ? L’amour de leur métier est la première motivation. « Un médecin qui a une carrière de 30 à 40 ans, est très investi dans ses relations avec ses patients. Partir du jour au lendemain paraît difficile. Beaucoup veulent prendre leur retraite mais continuer à avoir une activité réduite », déclare le Dr Hubert Aouizerate, président de la FARA (Fédération des associations régionales des allocataires de la CARMF). La deuxième grande motivation est d’ordre financier. « Les pensions de retraite ne sont pas si élevées que ce que l’on pense, entre 2 000 et 2 500 € par mois, remarque le président de la FARA. Le cumul permet d’avoir un complément financier ». Selon une enquête réalisée par la FARA et la CARMF en 2014, le cumul ne serait pas un choix mais une nécessité. Pour autant, selon la CARMF, les médecins qui continuent d’exercer après leur retraite ne sont pas ceux qui perçoivent les plus petites retraites. Enfin, la démographie médicale constitue la troisième raison qui pousse les médecins libéraux à travailler encore. « Beaucoup de médecins généralistes maintiennent leur activité parce qu’ils ont des difficultés à trouver un remplaçant ou un successeur pour les médecins libéraux », estime le Dr Henri Romeu, président honoraire de la FARA. « Les jeunes médecins n’ont pas tendance à s’installer et préfèrent s’orienter vers l’hôpital ou une activité salariée », ajoute Hubert Aouizerate.

Un marché « caché »
Cette situation pourrait être due au fait que les praticiens doivent continuer à cotiser au titre de la retraite sans pour autant acquérir de nouveaux droits. En clair, ils cotisent à fonds perdus. En outre, s’ils exercent en libéral, ils doivent aussi faire face à des frais et des charges. Etre remplaçant ou médecin collaborateur dans un cabinet peut être une bonne solution pour limiter les charges. Le salariat peut aussi constituer une opportunité. La médecine du travail, par exemple, recrute. « Dans le service de médecine du travail dans lequel je travaille, sept autres médecins sont retraités et salariés », remarque le Dr Albert Grondin (voir témoignage). Certains entament aussi une deuxième carrière dans les assurances. En fait, le recrutement se fait plutôt par le bouche-à-oreille et la cooptation. « Il ne faut pas hésiter à envoyer des candidatures spontanées », préconise néanmoins Albert Grondin. Les « cabinets éphémères » qui ouvrent dans certaines communes pour faire face à une désertification médicale peuvent aussi permettre à des retraités de reprendre une activité pour une durée déterminés. Mais il est difficile d’obtenir des chiffres sur ce marché « caché » ! Quant au profil, les jeunes retraités sont les mieux à même de reprendre du service, car leur pratique est encore récente et l’actualisation des connaissances est essentielle.

Une augmentation du nombre
Pour autant, si le nombre de médecins exerçant dans le cadre du dispositif de cumul/retraite augmente et devrait atteindre son apogée en 2025 selon le CNOM avec plus de 35 700 médecins, la situation ne devrait pas perdurer. « Dans une dizaine d’années, nous assisterons au phénomène inverse, estime le Dr François Simon, président de la section « exercice professionnel » au CNOM. En effet, la situation actuelle est due à une forte démographie médicale entre les années 70 et 90. Le numerus clausus ayant baissé par la suite, nous aurons moins de médecins au total et donc moins de médecins cumulant un emploi avec la retraite. » Et de conclure néanmoins : « Il est évident que ce dispositif permet de passer un cap un peu difficile sur le plan démographique ».

 

Quelques chiffres :

 

Témoignages

Dr Michel Mattout, endocrinologue-diabétologue à Marseille
« J’ai pris ma retraite il y a cinq-six ans et j’ai décidé de garder une activité libérale. Je reçois les patients un à deux jours par semaine. Les rendez-vous sont donc espacés. Si je travaille encore à 74 ans, c’est pour continuer à pratiquer le métier que j’aime, et non pas pour gagner de l’argent. Cela me permet de garder une vie sociale, de voir des patients mais aussi des confrères, et de me rendre à des congrès. Je vais participer par exemple au congrès sur la diabétologie qui se tiendra à Nantes. Je fais toujours partie du Club des endocrinologues de Provence que j’ai co-fondé avec un confrère. On ne peut pas, en effet, exercer la médecine sans être « au top » des connaissances médicales. Je poursuis également mes missions humanitaires. Depuis plusieurs années, je me rends en Afrique. En avril prochain, je vais partir au Sénégal. Côté financier, je suis finalement déficitaire. Même en étant propriétaire de mon cabinet, j’ai des frais et des charges. Je dois aussi régler mes cotisations à la CARMF et à l’URSSAF, alors que j’ai des revenus nuls. C’est l’aspect négatif du cumul emploi/retraite. Malgré ce point, je conseille aux futurs médecins retraités de poursuivre leur activité, parce que si l’on arrête de travailler, on vieillit trois fois plus vite ! »

Dr Albert Grondin, 73 ans, médecin du travail
« Médecin généraliste, je me suis installé en libéral en 1971 à Montluçon, en Auvergne. Cinq ans après, j’ai passé le Certificat d’études spéciales de la médecine du travail et j’ai cherché et trouvé un poste dans un service autonome. Je travaillais le matin en tant que médecin du travail et l’après-midi j’exerçais dans mon cabinet. Je pensais déjà à la retraite et à assurer une pension de retraite convenable. En 1998, j’ai fermé mon cabinet et fait de la médecine du travail à temps plein. En 2008, j’ai demandé ma retraite. Par la suite, Expertis, un service de médecine de travail, m’a contacté et recruté. J’ai donc repris une activité salariée, d’abord en temps partiel, deux jours par semaine, puis à temps plein. Il y a, en effet, un déficit de médecins du travail. Ce cumul emploi/retraite me permet d’avoir une vie active mais aussi des revenus supplémentaires pour financer notamment des voyages. Je n’aurais pas continué en tant que libéral car j’aurais eu trop de frais à payer et aussi une charge de travail plus importante qu’en tant que salarié. »

Les dispositifs de cumul emploi/retraite

Pour les médecins libéraux, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 a libéralisé ce dispositif en supprimant le plafond de ressources autorisées. Les médecins retraités, s’ils ont liquidé l’ensemble de leurs pensions de retraite obligatoires et s’ils justifient d’une durée d’assurance suffisante pour obtenir une liquidation à taux plein ou s’ils ont atteint l’âge de 65 ans, peuvent cumuler leur retraite et le revenu d’une activité médicale libérale sans restriction.

Pour les médecins du secteur public et les médecins hospitaliers, le décret n° 2005-207 du 1er mars 2005 autorise les praticiens hospitaliers à prolonger leur activité au-delà de la limite d’âge qui leur est applicable pour une durée de 36 mois, sous conditions d’aptitude validée par un certificat médical d’un médecin agréé et après avis des instances locales. La loi Santé de 2016 a relevé l’âge limite dans le cadre d’un cumul emploi-retraite à 72 ans jusqu’au 31 décembre 2022.

Pour les médecins salariés, ceux qui ont pris leur retraite à partir du 1er janvier 2004 sont autorisés à reprendre une activité salariée chez leur ancien employeur, après un délai de six mois ou, immédiatement, auprès d’un nouvel employeur. Le cumul des pensions (retraites complémentaires comprises) avec l’emploi repris ne doit pas dépasser le plafond de la Sécurité Sociale. Le cumul emploi-retraite est possible dès 56 ans dans ces conditions.

 

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