E-santé : la France n’a pas encore fait sa révolution
27 novembre 2017
La télémédecine, les applis mobiles ou encore le Big Data donnent lieu à des débats animés dans le domaine de la santé connectée. Pierre Simon, néphrologue, juriste et ancien président de la société française de télémédecine, et Alexis Normand, directeur BtoB chez Nokia Santé Digital (ex-Withings), font le point.
Profil médecin : La télémédecine, dont la lenteur de développement a fait l’objet ces dernières années de vives critiques de la part des acteurs de santé, va-t-elle enfin connaître une véritable et durable expansion ?
Pierre Simon : Faisons d’abord un peu d’histoire pour bien comprendre la situation actuelle. Le premier plan gouvernemental de e-santé a été lancé au début des années 2000 et a été un échec complet parce que les professionnels de santé n’avaient pas été impliqués. Les industriels avaient travaillé seuls dans leur coin. La télémédecine a été relancée en 2010 avec, cette fois, un cadre réglementaire : le développement d’internet, l’apparition des Smartphones et autres tablettes ont permis de réfléchir à des organisations et des pratiques nouvelles. Un an plus tard, un programme de télémédecine a été voté au conseil des ministres, fixant 5 priorités : la permanence des soins en imagerie, la prise en charge de l’AVC, la santé des personnes détenues, la prise en charge d’une maladie chronique et les soins en structure médico-sociale ou en hospitalisation à domicile. Malheureusement, ce plan n’a pas été suivi par l’Assurance-maladie et n’a donc pas pu porter ses fruits. Mais ces derniers temps, de gros progrès ont été accomplis. L’Assurance-maladie reconnaît désormais la télémédecine comme acte à la nomenclature médicale. Une grande nouvelle pour les médecins libéraux sur qui repose aussi ce projet. Enfin, Emmanuel Macron, qui considère que la télémédecine est un levier contre les inégalités sociales et territoriales de santé, a promis d’aider les établissements à se doter des moyens technologiques ad hoc, avec notamment un plan d’investissement de 5 milliards d’euros pour les hôpitaux.
Alexis Normand : La télémédecine peine à décoller car les médecins n’y ont pas encore trouvé leur intérêt. Mais il leur incombe d’en devenir les chefs d’orchestre. Le problème est qu’en France, la santé n’est pas prise en charge par les employeurs, ce qui contraint le mécanisme de l’innovation. Ce domaine est resté dans l’escarcelle des pouvoirs publics, lesquels sont assis sur un trésor, puisque la Sécurité Sociale chapeaute 90% des données de santé des Français et leur numérisation, par le biais du remboursement. Or à ce jour, ce fabuleux trésor n’a pas servi à établir des politiques publiques de prévention. Pourtant, cela coûterait tellement moins cher. Le suivi à distance réduit inévitablement les hospitalisations. Aux États-Unis, 50% des interactions entre un médecin et un patient se font par une plateforme digitale, ce qui n’est pas encore le cas en France.
PM : Quid des applications mobiles et des objets connectés consacrés à la santé ?
A.N : Les applications pour téléphones mobiles consacrées à la santé sont certainement l’aspect de la e-santé le mieux connu du grand public. Mais pour le moment, aucun organisme rattaché au ministère de la Santé ne décerne de label pour légitimer les applications consacrées à la santé. Si l’effort est fait pour améliorer ces applis, leur utilisation, ainsi que celle de certains objets connectés, reste confidentielle. En France, on a tendance à mettre la charrue avant les bœufs. Le ministère de la Santé a travaillé sur un référentiel des bonnes pratiques mais tant qu’il n’y aura pas de vraie prise en charge, celui-ci sonnera creux. Ce n’est pas un business réaliste.
P.S : Les outils évoluent très rapidement et on va vers des solutions de plus en plus performantes et riches de données car elles reposent sur des algorithmes issus de l’intelligence artificielle. Les applications en santé sont devenues un moyen pour les patients d’obtenir des informations médicales, elles les aident par exemple à obtenir des conseils personnalisés dans le suivi d’un traitement, ou encore à mieux prévenir des maladies. Elles peuvent aussi aider les professionnels à échanger des informations sur des cas cliniques. Grâce aux otoscopes connectés, par exemple, on peut faire des examens du tympan à distance. Le hic est que l’offre est nettement supérieure aux besoins : trop de start-ups se lancent aujourd’hui dans ce business. Résultat, le consommateur a tendance à se perdre.
P.M : Le Big Data [analyse de données] va t-il bousculer notre système de santé ?
P.S : La révolution du Big Data transforme en profondeur de nombreux secteurs, celui de la santé n’échappe pas à la règle. Les données disponibles, actuellement en pleine recrudescence, représentent un potentiel d’innovation sans précédent. Elles vont permettre d’identifier les facteurs de risque de maladie et d’aider au diagnostic, au choix et au suivi de l’efficacité des traitements. Ce phénomène ne sera pas sans effet sur le parcours professionnel du médecin qui pourra s’appuyer sur des outils fiables de l’intelligence artificielle pour délivrer des diagnostics et trouver des thérapeutiques. Le médecin ne fera peut-être bientôt plus appel à sa propre mémoire, alors que celle-ci occupe un pan important au cours de sa formation. C’est une profession entière qui est amenée à changer. Reste que le chemin est encore long et semé d’embûches – aussi puissants soient-ils, les ordinateurs capables de stocker et déchiffrer ces milliards de données peuvent délivrer des informations fausses si on néglige la vigilance.
A.N : Aux États-Unis, cela en prend le chemin alors qu’en France, c’est loin d’être le cas. Quand les entreprises américaines investissent massivement dans le Big Data, les autorités de santé françaises ne poussent pas au séquençage massif de l’ADN. Cette collecte de données est perçue comme une intrusion dans la vie privée. L’Assurance-maladie ne se pense pas encore comme une plateforme à même de proposer des services de santé plus innovants. Alors que son potentiel, eu égard à la base de données dont elle dispose (celle de tous les Français), est énorme.
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