Enquête sur la qualité de vie au travail des médecins : l’interview !

20 août 2018

L’enquête réalisée par Profil médecin révèle qu’un établissement en état de marche est un établissement où les équipes sont, d’une part, épanouies et satisfaites de leur qualité de vie au travail et, d’autre part, que leur stabilité est un critère essentiel. Comment mettre en place ces exigences ?
Le Docteur Michel Claudon, Président de la conférence des présidents de CME, et Sophie Beaupère, Directrice générale adjointe du Centre Léon Bérard à Lyon, livrent leurs éclairages.

Dans quelles mesures la composition et la fidélisation des équipes sont-elles essentielles au bon fonctionnement d’un établissement et comment y parvenir ?

Michel Claudon: L’exercice de la médecine et des soins ne peut se faire sans travail en équipe. Il est donc essentiel de redécouvrir la notion d’équipe, en général à la taille d’un service, et dans laquelle il faut compter les personnels médicaux et soignants. On constate aujourd’hui une perte du dialogue en raison de divers facteurs parmi lesquels la pression exercée sur le soin, du passage aux 35 heures, l’évolution des métiers etc. Les effectifs n’ont plus beaucoup de temps pour partager, échanger. Or, prendre le temps de discuter est essentiel. La notion d’équipe doit être réhabilitée car, pour que les gens soient fidèles à une structure ou un service, il faut qu’ils s’y sentent bien, qu’ils y aient leur place, avec un projet clair, des tâches partagées équitablement et un management à l’écoute. Les médecins qui ont une appétence particulière pour cela doivent donc apprendre à être des bons managers et à prendre de la distance par rapport à l’équipe. Or, on constate aujourd’hui que leurs études ne les y prédisposent pas.

Sophie Beaupère:

    C’est la diversité des profils et des âges qui fait la richesse d’une équipe.   

Il faut ensuite arriver à ce que cela s’inscrive dans la durée car il faut du temps pour bâtir les relations humaines. Pour répondre aux aspirations des jeunes, qui ne sont pas monolithiques mais au contraire très diversifiées, une structure doit être une sorte de couteau suisse ! Il faut leur proposer des choses diversifiées : aménagement du temps pour certains, activité de recherche pour d’autres, des activités transversales pour d’autres encore. Un établissement ne peut évidemment pas faire du sur-mesure pour chacun mais il faut analyser les grands types de besoins afin de proposer des solutions très concrètes qui y répondent. Les chefs d’établissement doivent se dégager une marge de manœuvre malgré le contexte économique contraint pour proposer des solutions innovantes en ressources humaines. La mise en place des GHT va aider dans le recrutement, notamment les établissements en difficulté pour fidéliser des médecins sur certains territoires. En étant à l’écoute et dans le dialogue, on peut comprendre des aspirations qui ne sont pas toujours financières ou en temps de travail.

Qui peut porter ce projet managérial ? Comment ?

Michel Claudon : À l’évidence, le management d’aujourd’hui est participatif, trans-générationnel et s’incarne dans un projet commun. En CHU, ce n’est pas forcément à un PU-PH d’être chef de service ou de pôle : n’importe quel praticien peut s’en charger tant qu’il accepte les 3 missions de base d’un CHU que sont le soin, l’enseignement et la recherche. De manière général, il faut une répartition des tâches, y compris universitaires, entre jeunes médecins, praticiens hospitaliers et PU-PH. Il faut savoir accueillir les jeunes confrères : c’est à cette condition qu’une équipe médicale se met en place. De même, il est essentiel de remettre de la transversalité et de la coordination entre les différents corps de métier (médical, soignants). Les jeunes ont besoin de ce projet et de cet équilibre.

Sophie Beaupère : Il doit être porté collectivement. Il faut à la fois une exemplarité de la direction et une bonne entente entre ses acteurs. Un pilotage d’établissement clair avec un projet médical et scientifique ambitieux est un premier socle solide. Il doit ensuite être décliné par des managers de proximité comme les chefs de service ou pôle. Des formations ont d’ailleurs été proposées en ce sens ces dernières années pour compléter la formation initiale qui ne prépare pas à cela.

A contrario, quel(s) danger(s) peut représenter un déficit d’effectifs sur l’organisation de l’établissement et donc la qualité de vie au travail ?

Michel Claudon : La baisse des effectifs en dessous d’un certain seuil conduit à une redistribution des tâches et des contraintes sur un nombre de praticiens plus restreint. Par conséquent, cela entraîne inévitablement une dégradation des conditions de travail, une augmentation des gardes et des astreintes, une hausse du travail journalier avec, souvent, une faible reconnaissance de l’administration et des directions qui parent malheureusement au plus pressé. En dessous d’un certain nombre de praticiens, il est impossible de faire fonctionner une structure… S’installe ensuite un cercle vicieux et négatif avec des équipes qui se désagrègent. Il est malheureusement beaucoup plus long de construire une équipe solide qu’elle ne se dissolve. Or il suffit parfois de « pas grand-chose » comme un départ à la retraite ou un congé maternité pour ébranler l’édifice.

Sophie Beaupère : Les services où il y a beaucoup de postes vacants doivent être considérés comme prioritaires. Il faut donc trouver des solutions pour que l’activité d’un service soit adaptée à son effectif présent. Ainsi, à court terme, il est possible d’adresser une partie de l’activité d’un service à un autre ou à un établissement confrère par exemple. Bien sûr, il faut ensuite prendre le temps d’envisager des solutions à moyen et long terme : un projet médical solide et attractif permet de recruter et de fidéliser.

Un enseignement de l’enquête montre que les critères les plus importants dans l’épanouissement des médecins sont l’équilibre vie privé/professionnelle, l’équipe médicale et l’organisation interne. Que cela nous révèle-t-il ? Est-ce un phénomène nouveau (ou grandissant) ?

Michel Claudon : La qualité de vie devrait être le premier critère et une base forte de l’organisation d’un établissement. Lorsque c’est le cas, l’ambiance générale s’améliore de facto. En outre, c’est un fait, il y a une évolution générationnelle sur ce point. Les anciennes générations ne comptaient pas leurs heures. Aujourd’hui, c’est différent : les jeunes praticiens veulent pouvoir passer du temps avec leur famille, élever leurs enfants et donc avoir des horaires qui cadrent avec cela. Ce sont des choses simples mais qui ont beaucoup de sens et qui doivent être entendues. Mais ce n’est pas évident à mettre en place dans les établissements aujourd’hui, en raison des objectifs médico-économiques d’activité et de performance qui leur sont demandés et qui ne permettent plus aux praticiens d’être proches et à l’écoute de leurs patients. Cela génère de la frustration du côté des équipes et de l’insatisfaction du côté des patients. Il faut donc rétablir cela ou, mieux encore, l’anticiper et l’inscrire dans la durée.

Sophie Beaupère : À l’image de l’évolution globale de la société, c’est en effet un phénomène qui se vérifie depuis quelques années et ce, tant du côté des hommes que des femmes. Je pense que c’est d’ailleurs essentiel pour les soignants :

    on ne peut pas prendre soin des autres si l’on ne prend pas soin de soi.    

Il me semble plutôt logique et sain que ces critères soient mis en priorité. Les établissements doivent apporter des solutions à leurs effectifs pour leur permettre de conjuguer ces différents critères : crèches hospitalières, charte de la parentalité, charte sur l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée (pas de réunion le soir…) etc. C’est une vraie révolution culturelle et cela fait du bien aux médecins comme aux soignants, aux personnels administratifs ou à la direction !

Enfin, l’enquête révèle également que 68 % des médecins pensent à changer de poste ou de structure d’ici 5 ans. Là encore, que cela nous révèle-t-il ?

Michel Claudon : Là encore, c’est une évolution générationnelle. Auparavant, on intégrait une équipe, on s’installait professionnellement, familialement et socialement de manière durable. Aujourd’hui, dans la mesure où le projet d’équipe est moins mis en avant, les jeunes médecins se sentent plus mobiles, que cela soit d’un établissement à un autre ou géographiquement. Le rôle du conjoint est également très important : on assiste à des réflexions de couple avec des choix de vie qui en découlent, ce qui n’était pas forcément le cas auparavant. Beaucoup de jeunes médecins partent également à l’étranger après leurs études, ce qui est, là encore, un phénomène nouveau en France. Il est donc essentiel d’avoir un marché du travail plus ouvert, avec des fiches de poste et des projets d’équipe solides. D’autant que les GHT et la télémédecine, pour ne citer que deux exemples, font évoluer les modalités d’exercice. Il faut donc s’adapter, tout en maintenant une stabilité dans les équipes.

Sophie Beaupère : Là encore, ce résultat n’est pas surprenant et se vérifie sur le terrain. C’est une tendance que l’on peut observer chez les jeunes médecins qui ne s’imaginent pas faire en effet l’ensemble de leur carrière au sein d’un seul établissement, ils sont mobiles et n’hésitent pas à changer de structures. Mais, pour un recruteur, cette mobilité est à la fois une difficulté et un avantage : une difficulté car il faut s’adapter à ces départs, un avantage car il est enrichissant d’accueillir des personnes qui ont un parcours professionnel différent, des expériences et qui apportent avec eux des idées nouvelles. D’autant que les réponses montrent une envie de bouger à 5 ans : c’est déjà un bon laps de temps. Cela devient problématique si l’échéance est plus réduite.

 

Retour sur les résultats de l’enquête 2018 : https://www.profilmedecin.fr/enquete-2018

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