Ressources humaines médicales : existe-t-il une culture européenne ? [Partie 2]

28 octobre 2021

Au fil des siècles, l’Europe s’est construite, jusqu’à devenir aujourd’hui une Union économique et politique. S’ils partagent un certain héritage historique commun, chacun de ses Etats membres possède également son identité et sa culture propres… Et si l’UE favorise la circulation des personnes et l’harmonisation des formations et des pratiques, qu’en est-il dans les faits ? Peut-on dire qu’il existe une Europe des médecins ?

2) Rôle de la formation : pour des ressources humaines harmonisées, il faut une réelle équivalence

Au sein de l’Union européenne, la libre circulation est la règle, et concerne, bien entendu, les professions médicales. Néanmoins, leur mobilité est entérinée par les autorités nationales.

« La première directive sectorielle pour la libre circulation des médecins date de 1975, rappelle Armelle Drexler, professeure affiliée du département Institut du Management (IDM) de l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP) et directrice du pôle Affaires Médicales du CHU de Strasbourg. Mais bien entendu, les conditions ont été précisées au fur et à mesure de l’élargissement de l’Union européenne (UE) et de l’entrée de nouveaux Etats. »

Une reconnaissance automatique

À ce jour, la reconnaissance des diplômes communautaires des professionnels de santé est automatique et mutuelle. Les pays membres de l’UE se sont mis d’accord sur des exigences minimales que doivent respecter les diplômes de spécialités médicales afin de permettre une reconnaissance entre eux. La directive 2005/36/CE précise par exemple qu’une formation médicale de base doit durer six ans, auquel s’ajoute un temps de spécialisation avec une durée minimale également précisée. « De fait, l’UE a décidé par exemple que la durée minimale de la spécialité ″anesthésie-réanimation″ devait être de trois ans, alors les diplômes de chaque pays membre pour cette spécialité doit être de cette durée pour être reconnue entre eux », explique Armelle Drexler. Si cette durée n’est pas respectée dans un pays, le médecin diplômé dans cet Etat ne verra pas son diplôme reconnu dans un autre pays. A l’inverse, un pays peut aussi décider que la formation à cette spécialité doit durer cinq ans, comme c’est d’ailleurs le cas en France.

Un contrôle de l’Ordre des médecins

« L’application de cette reconnaissance automatique et mutuelle n’est donc pas si simple », fait savoir Armelle Drexler. En France par exemple, c’est le Conseil national de l’Ordre des médecins qui est en charge de l’instruction des demandes s’intégrant dans le cadre de cette reconnaissance automatique. En cas de doute sur la validité d’un diplôme, il peut prendre contact avec l’autorité compétente de l’État membre d’origine aux fins de vérification. « Et même lorsque le diplôme apparaît sur la directive communautaire, il peut y avoir de mauvaises surprises », précise-t-elle. Et de donner un exemple marquant : « Nous voulions recruter un oncologue italien, formé en Italie et exerçant au Royaume-Uni. Après analyse de la directive communautaire, les conditions semblaient être remplies pour permettre ce recrutement. Nous avons donc proposé un poste à ce médecin, qui a démissionné du sien et déposé son dossier à l’Ordre des médecins. Finalement, ce dernier a répondu qu’il manquait six mois de formation au praticien et qu’elle devait donc suivre une formation complémentaire en Italie. Elle est donc rentrée dans son pays mais n’est pas venue exercer dans notre établissement. »
L’Ordre contrôle également le niveau de connaissance de la langue française afin de s’assurer de la capacité du médecin à communiquer avec ses confrères et ses patients.

Un recrutement simplifié

Même si ces contrôles peuvent à la marge limiter les recrutements, il est vrai que les directives européennes facilitent la mobilité des médecins puisque les diplômés communautaires n’ont ni concours à passer, ni stage à accomplir. Un médecin titulaire d’un diplôme communautaire doit en effet déposer son dossier à l’Ordre des médecins et il obtient la réponse quant à sa possibilité d’exercer en France sous 4 mois.
En France, cette mobilité des médecins rendue possible dans le cadre de l’UE permet aux établissements de compenser le numerus clausus notamment« dans certaines spécialités, pour lesquelles il est difficile pour les établissements publics de concurrencer le secteur privé au regard des rémunérations qui y sont proposées », fait savoir Armelle Drexler.
Néanmoins, cette mobilité n’est pas sans risque car elle met en concurrence les pays en matière de conditions de travail et de rémunération. « En France, il y a plus de médecins diplômés dans l’UE qui s’installent que des médecins français qui partent exercer dans un autre pays membre de l’UE », assure Armelle Drexler. Néanmoins, il y a quelques années, lors de leur entrée dans l’Union européenne, certains pays, comme la Hongrie (voir encadré du témoignage) ou la Roumanie, ont essuyé un revers avec de nombreux départs de leurs médecins à la recherche de meilleures conditions d’exercice et de salaires. « La Roumanie a pris les choses en main et proposé une revalorisation des moyens attribués au système de santé », indique Armelle Drexler. Et de poursuivre : « Nous avons des facilités pour circuler au sein de l’UE mais je pense qu’il est important de renforcer la facilitation de cette mobilité car il y a encore de nombreux autres dossiers auxquels s’atteler. »

Une entente entre les universités

Les enjeux autour de la mobilité sont importants, notamment parce que tous les pays ne respectent pas les exigences minimales de la directive communautaire. « Selon moi, il faudrait aller plus loin dans ces exigences minimales et mener un véritable travail sur le contenu des formations à l’échelle de l’UE pour que l’on puisse se diriger vers une équivalence réelle des formations », estime Armelle Drexler. Mais cela relève de la volonté des États membres et des universités dans un contexte où des différences peuvent exister concernant la conception de la médecine ou encore la relation médecin/patient.
D’autres questions sont également à approfondir notamment celle de la mobilité des étudiants en santé, qui sont proportionnellement moins nombreux que les étudiants d’autres filières à bénéficier du programme d’échange Erasmus.

Découvrez les autres parties du dossier :
1 – Comprendre
3 – Témoignage

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