Ressources humaines médicales : existe-t-il une culture européenne ? [ Partie 3 ]

28 octobre 2021 RH médicales europe

Au fil des siècles, l’Europe s’est construite, jusqu’à devenir aujourd’hui une Union économique et politique. S’ils partagent un certain héritage historique commun, chacun de ses Etats membres possède également son identité et sa culture propres… Et si l’UE favorise la circulation des personnes et l’harmonisation des formations et des pratiques, qu’en est-il dans les faits ? Peut-on dire qu’il existe une Europe des médecins ?

En Hongrie, la décision du chef fait loi

Catherine Feidt, gynécologue-obstétricienne, également spécialisée en psychothérapie, a exercé en Hongrie pendant plus de 30 ans où elle a assisté à la fin de la domination soviétique au début des années 1990. Si elle n’exerce plus aujourd’hui, elle partage les souvenirs de son exercice dans ce pays dont la culture médicale, très différente de celle de la France, est intimement liée à l’histoire politique…

« J’ai commencé à exercer dans une clinique universitaire avant de m’orienter vers l’accompagnement des adolescentes. C’est une population assez complexe à aborder, particulièrement pour des problèmes gynécologiques ou sexuels. Aussi, afin de mieux communiquer avec elles, je me suis spécialisée en psychothérapie. Durant mes dernières années hongroises, j’ai ainsi exercé en libéral et dans un centre d’assistance médicale à la procréation.
Ce parcours m’a permis d’avoir une vision assez globale de la culture médicale en Hongrie. Là-bas, la médecine est très hiérarchisée tant dans le système universitaire qu’hospitalier. Tout est extrêmement protocolisé et c’est l’expérience du chef de clinique ou de service qui fait loi. C’est le patron qui décide et internes comme médecins n’ont pas la liberté de choisir l’intervention qu’ils souhaitent réaliser.
Ce verrouillage est évidemment moindre dans le secteur libéral. Néanmoins, les tarifs n’y sont pas réglementés et un médecin peut fixer le prix de consultation qu’il souhaite, entraînant une concurrence, une médecine à deux vitesses et des tensions sociales. Le coût de la médecine privée, plus élevé qu’en France, ne manque pas de surprendre les expatriés à leur arrivée !
Les salaires étant bas dans le public et le coût d’une installation en libéral très élevé, on a constaté de nombreux départs de médecins et de soignants il y a une quinzaine d’années (voir encadré). Etant donné la qualité de la formation hongroise, qui délivre un diplôme européen, beaucoup d’entre eux sont partis exercer dans un pays de l’Union européenne. Quant à ceux qui sont restés dans le système public, leur abnégation et leur dévouement forcent l’admiration face au nombre de patients qu’ils doivent suivre et le peu de moyens dont ils disposent. »

Comprendre les mutations du système de santé hongrois

Selon l’OCDE, la rémunération des médecins hongrois a augmenté entre 2010 et 2018 (+ 80 % pour les généralistes, presque doublée pour les spécialistes). L’objectif ? Remédier à la pénurie et endiguer l’émigration des médecins, facilitée par l’adhésion de la Hongrie à l’Union européenne en 2004, puis aggravée par la crise de 2008.
Et cela semble porter ses fruits puisque, entre 2017 et 2018, le nombre de médecins ayant déposé une demande d’autorisation d’exercer à l’étranger a diminué de plus de 10 %. En 2013, un jeune médecin hongrois gagnait environ 420 euros par mois et le pays consacrait à son système de santé moitié moins, en pourcentage de son PIB, que la moyenne des pays de l’OCDE.
Une situation directement héritée de la période communiste en Hongrie, durant laquelle les salaires des médecins avaient été drastiquement revus à la baisse et qui avait entraîné l’installation puis la généralisation d’un système de dessous-de-table. Ces « paraszolvencia » étaient payées par les patients à leur médecin afin d’échapper aux délais d’attente ou d’obtenir de meilleurs soins médicaux.
Mais des voix, de plus en plus nombreuses, se font entendre pour dénoncer cette corruption. De fait, en juin 2013, le gouvernement a introduit un système de bourses pour les jeunes médecins hongrois, lesquels s’engagent contractuellement à ne jamais toucher de pots-de-vin. Dans la continuité, une loi adoptée au Parlement en octobre 2020 (qui prévoit également une hausse des rémunérations du secteur public) sanctionne de 5 à 10 ans de prison les employés qui accepteraient une gratification et interdit l’exercice mixte pour les médecins, à moins de disposer d’une autorisation des autorités. Une interdiction qui s’étend aux patients qui n’ont pas le droit, pour la même pathologie, d’être suivis par un médecin dans un hôpital public s’ils le consultent dans le secteur privé.

(Sources: OCDE, AFP, sudinfo.be, GlobalVoices)

Découvrez l’ensemble du dossier :
Partie 1 – Comprendre
Partie 2 – Le rôle de la formation

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